lundi 12 juillet 2010

Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude ? Mahmoud Darwich

Le trait saillant qui distingue feu Mahmoud Darwich de ses pairs, en Palestine ou dans le monde arabe, c'est sa capacité à toucher non seulement le lecteur "frère", mais aussi, au delà des clivages et des hostilités politiques ceux qui sont dans le camp opposé. Sa verve et l'universalité de son écriture sont telles que de nombreux Israéliens, y compris certains dirigeants -et non des moindres- n'ont pas manqué de reconnaître la force et la beauté de cette plume hors-pair. D'ailleurs, de son vivant comme après sa mort Mahmoud Darwich n'a cessé d'être traduit en hébreu.
Ce n'est pas tout. Il y a une dizaine d'années, Yossi Sarid alors ministre de l'Éducation dans le gouvernement de coalition d'Ehud Barak (1999-2001) a proposé d'insérer quelques uns de ses poèmes au programme du secondaire. Ehud Barak s'y est opposé.
Venant d'un représentant de l'extrême-gauche laïque, cet hommage à Darwich ne serait pas assez surprenant. Mais que dire quand l'extrême-droite elle-même, à travers un dur des durs de la taille d'Ariel Sharon, associe son nom à un tel hommage?
Le poète, l'écrivain en général ne choisit pas ses lecteurs; ce sont ces derniers qui le choisissent. Et lorsque s'exprimant sur ses favoris en matière de littérature arabe, Sharon élit Darwich et ne cache pas le plaisir et l'intérêt qu'il trouve à lire surtout "Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude?"(1) on comprend davantage la valeur poétique inégalée de ce poète.
Ci-dessous la traduction  et le texte dans sa version arabe.

Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude ?

« Où me mènes-tu, père ? »
- Du côté du vent, mon enfant !
Alors qu’ils sortaient de la plaine
Là où les soldats de Bonaparte
Avaient érigé une colline
Pour guetter les ombres
Sur la vieille muraille de Âkka (2)
« N’aie pas peur
Disait un père à son fils
N’aie pas peur des balles qui sifflent
Colle-toi au sol pour survivre
Sains et saufs
Nous serons tantôt au sommet
D’une montagne du nord
Et nous reviendrons
Quand vers les leurs au loin
S’en retourneront les soldats
- Et qui
Après nous, père
Habitera la maison?
- Elle restera telle quelle
Comme par le passé
Mon enfant »

Il a tâtonné
Tel un organe de son corps
La clé
Et rassuré
Alors qu’ils traversaient
Une clôture d’épines
Il enchaîna:
« Souviens-toi, mon enfant
Ici les Anglais
Ont crucifié ton père
Deux nuit durant
Sur les rameaux épineux
D’un figuier de barbarie
Sans pour autant
Lui arracher un aveu
Tu grandiras, mon enfant
Et à ceux qui se relayeront
Pour prendre les fusils
Tu raconteras les annales du sang
Consignées sur le fer …
- Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude ?
- Pour qu'il tienne compagnie à la maison, mon enfant,
Car en l’absence des leurs
Meurent les maisons »
De loin
L’éternité ouvre ses portes
A la voiture nocturne
Et les chacals des contrées sauvages
Glapissent
A la face d’une lune apeurée
« Sois solide comme ton grand-père,
Dit un père à son fils,
Et grimpe avec moi
La dernière côte des chênes
Souviens-toi, mon enfant
C’est ici que le Janissaire (3)
Est tombé de sa mule
Alors résiste avec moi
Pour le retour
- Quand le retour ?
- Demain!
Tout au plus dans deux jours,
Mon enfant »
Un lendemain insouciant
Mâchait déjà le vent
Derrière eux
Dans les interminables nuits d’hiver
Et des soldats de Joshua ben Nun (4)
Érigeaient une forteresse
Avec les pierres de leur maison
Alors qu’ils haletaient
Sur le sentier de Cana (5)
« Notre Seigneur Jésus
Dit le père
Est passé un jour par ici
Il a converti l’eau en vin
Et Il a dit tant et tant
De choses sur l’Amour
Mon enfant,
N’oublie pas demain
Et souviens-toi
De ces forteresses croisées
Que les herbes d’avril
Avaient mâchées
Sitôt le départ des soldats"

Mahmoud Darwich
Traduit par A.Amri

12 juillet 2010


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Notes:

1- "Ça m'a fait comprendre l'attachement des Palestiniens à leur terre» disait Sharon à propos de ce poème.
2- Ville palestinienne occupée en 1948, rebaptisée depuis la judaïsation Saint-Jean-D’Acre.
3- Au pluriel, c’est l’élite de l’infanterie turque à l’apogée de l’empire ottoman. Composée exclusivement d’anciens prisonniers de guerre européens.
5- Valet de Moïse et, selon la Torah, son successeur. Chef militaire qui permit aux juifs de sortir du Sinaï, désert de l’errance, et traverser le Jourdain.
6- Ville de Galilée, associé au miracle des Noces qui porte son nom.
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لماذا تركت الحصان وحيداً..؟



إلى أين تأخذني يا أبي؟
إلى جهة الريح يا ولدي …

… وهما يخرجان من السهل ، حيث
أقام جنود بونابرت تلاً لرصد
الظلال على سور عكا القديم ـ
يقول أبٌ لابنه: لا تخف. لا
تخفْ من أزيز الرصاص ! التصقْ
بالتراب لتنجو! سننجو ونعلو على
جبل في الشمال ، ونرجع حينَ
يعود الجنود إلى أهلهم في البعيدِ

ـ ومن يسكن البيت من بعدنا
يا أبي ؟
ـ سيبقى على حاله مثلما كان
يا ولدي !

تحسس مفتاحه مثلما يتحسس
أعضاءه ، واطمئن. وقال لهُ
وهما يعبران سياجاً من الشوك :
يا ابني تذكّرْ! هنا صلب الإنجليزُ
أباك على شوك صبارة ليلتين،
ولم يعترف أبداً. سوف تكبر يا
ابني، وتروي لمن يرثون بنادقهم
سيرة الدم فوق الحديدِ …

ـ لماذا تركت الحصان وحيداً؟
ـ لكي يؤنس البيت ، يا ولدي ،
فالبيوت تموت إذا غاب سكانها …

تفتح الأبدية أبوابها من بعيدٍ ،
لسيارة الليل. تعوي ذئاب
البراري على قمر خائف. ويقول
أب لابنه: كن قوياً كجدّك!
واصعد معي تلة السنديان الأخيرة
يا ابني، تذكّر: هنا وقع الانكشاريّ
عن بغلة الحرب ، فاصمد معي
لنعودَ

ـ متى يا أبي ؟
ـ غداً. ربما بعد يومين يا ابني!

وكان غدٌ طائشٌ يمضغ الريح
خلفهما في ليالي الشتاء الطويلة
وكان جنود يهوشع بن نون يبنون
قلعتهم من حجارة بيتهما. وهما
يلهثان على درب (قانا): هنا
مر سيدنا ذات يوم. هنا
جعل الماء خمراً. وقال كلاماً
كثيراً عن الحب، يا ابني تذكّر
غداً. وتذكر قلاعاً صليبية
قضمتها حشائش نيسان بعد
رحيل الجنود

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