dimanche 24 octobre 2010

Trois p'tits coquelicots ou la Caille et la Martyre de Denis Marulaz

Bûchette était un oiseau encagé. Perdrix, bécasse, tourterelle des bois: vous n'avez que l'embarras du choix pour élire le gibier qui convienne au plumage de ce nom. Vous pouvez même dire, si l'onomastique ou l'anthroponymie vous inspirent, que ce nom s'assortirait plutôt mieux d'une caille. "Une caille aux œufs d'or!" vous dirait alors Bûchette.  
 
Bûchette échappe un soir à la vigilance des "méchants matous", ses anges gardiens, et part illico en cavale. Le bel oiseau en a marre d'être "barricadé à triple tour" alors qu'il pourrait voler de ses propres ailes et "aller taquiner l'asticot en pleine nature". Et il a raison, qui n’en conviendra ? Il vaut mieux être oiseau de campagne qu'oiseau de cage, assure la vieille sagesse des peuples et des nations. Quand on est de chair fraîche, que cette chair "est de l'or en barre" (si besoin zyeutez de plus près, messieurs, pour en juger de vous-mêmes!) plutôt que de se laisser indéfiniment plumer par ses volailleurs, on ferait mieux de se barrer à tire d’aile et s’en aller filer des jours d'or et de soie, dans son nid à soi, loin de tout matou méchant et tout ange gardien. 
 
C'est à la faveur de cette fugue émancipatrice que Bûchette se trouve "invitée" de Gildas, retraité des finances, si ce n'est de l'existence même. Il est "dans son coin, tranquille, tout seul...en règle avec tout le monde, les commerçants, les impôts, les organismes, tout !" Un monsieur qui n'attend personne, "ni les gentils, ni les pas-gentils", dans sa vie de solitaire qui confine un peu à l’univers monastique. Et dans sa cavale, Bûchette lui tombe dessus, comme un cheveu dans la soupe. Elle l'oblige à se plier à cette "invitation" à la bonne franquette, les aboiements des chiens dehors, à intervalles réguliers, et le moteur d'une voiture rôdant aux parages, rappelant à l'oiseau évadé que ceux qui avaient "investi dans la pierre" et pris "toutes les assurances" pour y prospérer ne sont pas près de faire leur deuil de la mine d’or, en traître envolée. 
 
Mouvementée, démarrant à l’américaine, c'est ainsi que débute cette pièce théâtrale de Denis Marulaz. Les Grecs, qui avaient inventé l’art dramatique, donnaient à « drama» le sens à la fois expressif et définisseur d’action. Et c’est en parfaite adéquation avec la conception originale, inaltérée, du théâtre grec que Trois p'tits coquelicots est écrite. Elle se lit/se voit à la manière d'un polar, l'œuvre saisissant son lecteur-spectateur d'entrée et le mettant, sans hors-d'œuvre, en appétit. D’ailleurs c’est une règle d'écriture, une constante chez Denis Marulaz. Dès qu’une intrigue faite de sa main vous invite à en parcourir l’incipit, c’en est fait de vous! impossible de vous en défaire: vous irez jusqu’à l’excipit et vous n’avez pas le choix. Comme le chant fatal des sirènes en hautes époques et hautes mers, l’écrit de Denis Marulaz vous happe, ligote, ensorcelle et ne vous délivre que lorsque, finalement tues.. les sirènes auront abusé de vous! Ceci pour prévenir les non majeurs ni vaccinés. Méditer la sentence orientale, si besoin, avant de succomber au chant des sirènes: il n’est pas aussi aisé de sortir d’un hammam que d’y entrer! 
 

Mise en appétit se lit aussi « mise en appétence ». Car d'aucuns, sourcillant et se lissant les bacchantes, verraient bien cette volaille troussée sur une table de cuisine, la leur! ou peu importe l’endroit, dans leurs bois ou sur la scène de théâtre, à feu de bûches ou de bois embrochée ! Pour
Denis Marulaz
peu que les fantasmes anticipent dans ce sens (et le jeu comme le contexte dramatiques, lieu, répliques, statut des personnages, s'y prêtent au reste) Bûchette n'y verrait aucun inconvénient, même si la pièce n'a pas besoin d'un fumet de volaille aussi bien aromatisé pour vous allécher. Mais oublions la caille dans son four pour dire deux mots sur la justicière. De Bûchette faite pour « tailler les bûchettes » à Fantomette faite pour « taquiner l’asticot » sur les bûchers des martyrs, il n’y aurait que l’attirail de l’officiante qui change. En quelque volailler qu’elle se trouve, et ce n’est pas pour bêcher que "la main de la Providence" (ou du dramaturge) l’aurait envoyée chez Gildas, quand elle becquette cette Bûchette ne fait pas que râler de plaisir ! Il y aurait en elle un archange de lumière, un chevalier errant redresseur de torts, un paladin avec son épée justicière, envoyé d'un autre monde, d’une autre durée. Afin de venger une martyre. Mais celle-ci -c'est une autre volaille d'un bouquet autre, il y a beau temps qu'elle s'est dérobée à sa cage et son matou. 
 
 
AhmedAmri
24.10.10
 
Au sujet du même auteur: Autopsie d'un ectoplasme dissous 
 Le blog de Denis MARULAZ : espace où il fait bon errer et se perdre. 
 
 
 
 
 

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