samedi 13 août 2016

La Tunisie est-elle un Etat voyou ?


A l'heure où notre économie est au plus mal, à l'heure où le pays appelle de tous ses vœux les capitaux étrangers pour l'aider à sortir du goulot de la bouteille, nous apprenons non sans tristesse qu'un couple d'investisseurs français s'est fait ruiner à Zarzis par un escroc tunisien. Et comble du malheur pour ce couple, au lieu d'arrêter leur arnaqueur et œuvrer à réparer leurs préjudices, les autorités locales auraient fait preuve à la fois d'incurie totale envers eux et de complaisance à l'égard du coupable.

Pour autant que la version du quotidien français
Yvon Bisiaux (Photo DDM, L.G)
soit conforme à la vérité
1, cette histoire ne peut que nous indigner. Car la morale à en retenir se résumerait comme suit. La main qui s'était tendue depuis l'Ariège français
, amicale et généreuse -peut-on dire, pour contribuer au renflouement de notre économie, s'est fait «amputer» par les bénéficiaires directs de son apport de fonds. Tandis que la main du voleur, comme devenue plus longue à la faveur de son forfait et de la corruption des autorités tunisiennes, poursuit dans l'impunité ses crimes. L'escroc ayant apparemment réussi à s'acheter des consciences locales et usurper des droits de partie civile, c'est lui-même qui poursuit désormais devant la justice le couple français qu'il a arnaqué ! 

Certes, ce paradoxe de situation illustre bien le vieil adage tunisien: «ضربني وبكي وسبقني وشكى » («il m'a frappé et a pleuré puis m'a devancé pour se plaindre»). Mais en vertu de quel code juridique, ou quelle «charia» révolutionnaire, la main spoliée peut-elle se faire couper dans notre pays, alors que la main coupable, voleuse, devient immaculée, exempte de toute souillure, et s'approprie en plus des droits qui ne sont pas les siens, lui permettant d'intenter des procès contre la «main amputée» ? Est-ce par ce brillant génie national, hors du commun, et par de telles gratifications (aux victimes et à leur escroc) que notre État espère gagner la confiance des étrangers et de leurs capitaux ?

Mais tout en soulevant à bon droit ces questions qui interpellent les autorités tunisiennes, d'autres questions non moins légitimes nous interpellent à leur tour et méritent l'attention de la partie plaignante française. Comment un chef d'entreprise français, supposé assez rodé, ayant à son actif une expérience de trente ans, ancien gérant des magasins «Géant du carrelage» à Pamiers et Saint-Girons, peut-il se faire flouer par un chauffeur de taxi tunisien ? Où sont
(dans cette version de la Dépêche qui n'en fait aucune mention) les avocats, les titres de propriété, les garanties du cadre juridique des investissements étrangers ? Où sont, s'il y a réelle connivence étatique, les rôles qui incombent aux services consulaires de la France et à l'ambassade de ce pays ? Pourquoi la presse tunisienne, écrite ou audiovisuelle, n'a pas été saisie de cette affaire, alors qu'elle compte plus d'un journalistes d'investigation, indépendants et courageux, qui auraient pu faire là-dessus toute la vérité ?

Évidemment, faute de lumière sur les dessous de cette supposée escroquerie où seule la partie française a donné jusqu'ici sa version des faits, il ne nous est pas permis de défendre ni d'accuser
si hâtivement qui que ce soit. Tant que le mystère ne sera pas levé sur les points d'interrogation soulevés et sur tant d'autres encore2, nous ne pourrons faire valoir dans l'immédiat que le juste principe de droit universellement reconnu: tout accusé est présumé innocent jusqu'à preuve du contraire. 

Néanmoins,
à supposer que les doléances du couple français soient conformes à la vérité -et tout ce qui suit est placé sous cette hypothèse, il y a lieu de parler d'un monument d'injustice. Lequel ayant pour scène non un théâtre de l'absurde, mais la terre tunisienne. Et il nous écœure autant par son énormité que par le laisser-aller dont les pouvoirs locaux ont fait preuve envers le couple de Français lésés, et la complaisance de ces mêmes pouvoirs à l'égard du coupable.

Après tous les coups durs portés à l'image nationale par le terrorisme daéshien exporté avec la complicité du gouvernement de la Troïka vers la Syrie, l'Irak et l'Europe
, après le récent scandale éclaboussant le Pôle judiciaire de la lutte contre le terrorisme, après le scandale de la patrouille de police qui a racketté un citoyen et lui a extorqué près de 38 mille dinars, après le scandale des stents et des produits anesthésiants frelatés, après tant de faits accumulés qui montrent la connivence active ou passive de l'Etat dans des affaires criminelles,  cette présumée escroquerie frappant le couple français et supposée impliquer de surcroît des fonctionnaires locaux (dont le gouverneur de Médenine), nous autorise à nous demander si la Tunisie est encore un État constitutionnel et républicain, ou n'est plus qu'un piètre État voyou.

A. Amri
13 août 2016



=== Notes ===

1- Cette réserve est d'autant plus légitime que le journal français qui rapporte les faits ne cite d'autre source que les seules doléances du couple ariégeois. Et il est à regretter que les pages électroniques tunisiennes qui ont repris, plus ou moins allégée3, cette version n'aient fait aucune investigation du côté de la partie tunisienne, ni auprès du présumé escroc ni auprès des autorités publiques supposées complices, pour éclairer dans l'intérêt de l'information objective et de la vérité cette affaire.

2- Parmi ces points d'interrogation: comment un homme aussi rodé peut-il accepter d'acquérir un terrain par l'intermédiaire d'un prête-nom, sans avoir en main au préalable les garanties juridiques nécessaires, actes en bonne et due forme, qui lui permettent de prévenir tout abus de la part du contractant formel sur le papier, qui lui a prêté son nom ? Quel est le statut juridique exact de ce chauffeur tunisien accusé d'escroquerie ? Est-il un associé à part entière, un simple salarié ou l'un et l'autre à la fois ? Si le terrain a été vendu par cet escroc, que signifie alors "l'entrepôt [des Bisiaux] de Zarzis" dont il est fait mention dans les doléances du couple français, dans un contexte historique apparemment plus récent et postérieur à la vente évoquée ? Comment ce couple d'investisseurs acceptent-ils que 4 containers de céramique importée d'Espagne et d'Italie soient indéfiniment bloqués à la douane? A-t-on contacté, directement ou par courrier, les hauts responsables tunisiens pour les mettre au courant de cette injustice ?

3- Ci-dessous les quelques pages électroniques qui ont fait écho à cette affaire, toutes citant l'unique souurce: La Dépêche du Midi:
- akherkhabaronline.com.
- alchourouk.com
- webdo.tn
  






mercredi 3 août 2016

Les Chevaliers de la Morale et de la Vertu et notre vie privée

« Suivant le récit d'Abou Daoud, fondé sur l'autorité d'Amasch, qui le tenait de Zaid, on vint trouver Abdallah ibn Masoud et on lui dit: «Voici un homme dont la barbe dégoutte de vin »; sur quoi il répondit : «Il nous a été défendu d'espionner; mais si quelque chose de contraire à l'ordre s'offre à nos yeux, nous devons punir. » Talibi rapporte la même chose d'une manière un peu différente, sur l'autorité de Zaid ibn Wahab, suivant lequel on dit à Abdallahibn Masoud: « As-tu quelque chose à ordonner par rapport à Walid ben Akaba, dont la barbe dégoutte de vin,» et il répondit : «Il nous a été défendu d'espionner; mais si quelque chose de. contraire à Tordre s'offre à nos yeux, nous punissons. » (Walter Behrnauer, Mémoire sur les institutions de police chez les Arabes, les Persans et les Turcs, Impr. impériale (Paris), 1861, p. 6)


Alors qu'il était calife de 634 à 644, Omar ibn al-Khattâb sortait souvent la nuit pour faire un tour d'inspection à Médine, capitale du jeune Empire musulman. Un soir qu'il effectuait cette randonnée de routine, il entendit s'élever d'une maison une chanson gaillarde. Quand il put localiser la source de la voix et s'en approcher de plus près, il a acquis la certitude que celui qui chantait à l'intérieur de sa demeure était ivre. Il décida de s'introduire immédiatement dans la maison pour arrêter et punir le sacrilège, persuadé que le calife qu'il était usait ainsi d'un droit irréprochable et en tout conforme à la charia. Ayant escaladé le mur et poussé une porte, le calife a découvert alors que non seulement le maître de céans était en train de boire, mais il était en plus en galante compagnie. Ivresse et adultère: deux délits cumulés passibles, le premier de quatre-vingts coups de fouet, le second de lapidation jusqu'à ce que mort s'ensuive.

"Ennemi d'Allah! cria le calife. Crois-tu que Dieu puisse te couvrir alors que tu es en train de transgresser Ses lois ?" Ce à quoi l'homme ainsi épinglé répondit:" Commandeur des croyants, ne vous hâtez pas de me condamner pour deux fautes qui, quelle que soit leur gravité, sont circonscrites dans la maison qui m'appartient et ne regardent que ma personne et ma complice. Mais songez plutôt à demander la clémence de Dieu pour vos propres fautes, dont l'impact est beaucoup plus étendu. Car nonobstant votre droiture et votre souci de justice, Commandeur des croyants, vous venez de transgresser en cette nuit et ce lieu trois lois divines, et non des moindres. La gravité de vos fautes en cette circonstance dépasse de beaucoup ce que j'ai commis !"

- Comment cela ? interrogea Omar. L'homme répondit: « le Coran dit: "n'espionnez pas !"(ولا تجسسوا), et vous venez de m'espionner dans l'enceinte de mon domicile. Et d'une ! et de deux: Dieu dit:" entrez dans les maisons par leurs portes !"(وائتوا البيوت من أبوابها), et vous vous êtes introduit chez moi par effraction en escaladant le mur. Et de trois: Dieu dit:" n’entrez pas dans des maisons autres que les vôtres avant de demander de façon courtoise la permission et de saluer leurs habitants (لا تدخلوا بيوتا غير بيوتكم حتى تستأنسوا وتسلموا على أهلها)". Et vous n'avez pas respecté non plus ce commandement divin».

Toutes les sources1 concordent pour affirmer que Omar ibn al-Khattâb, très à cheval sur la question du droit, a reconnu la justesse de cette plaidoirie et acquitté en conséquence l'homme. Abou Echeikh al-Asbahani va jusqu'à dire que Omar est sorti de la maison de ce noceur en pleurant2. Les supposés flagrants délits que le calife a voulu sanctionner par la charia sont devenus, par cette même charia lue d'une manière dynamique, nuls et non avenus, et ce dès que leur constatation s'est révélée en elle-même non conforme au droit à la vie privée et à l'inviolabilité du domicile.

S'il faut rappeler aux musulmans ce fait historique attesté, lequel n'est pas unique -il faut bien le souligners3, c'est que 14 siècles après Omar, les « Chevaliers de la Morale et de la Vertu» islamiques ne savent pas encore ce qu'est une vie privée. Sur ce chapitre précis, hélas, ils ne sont même pas capables de se hausser au niveau de la charia.

Vladimir Veličković (La chute)
Ce lundi 1er août 2016 dans un quartier situé au nord de l'agglomération de Tunis, l'atteinte à l'inviolabilité du domicile et à la vie privée a fait un mort âgé de 21 ans. Un frais bachelier résidant à Menzah VI, quartier aménagé au début des années 1970 avec une part importante d'habitat collectif, a invité dans son appartement sa copine. Il n'a pas fait la nouba. Ni perturbé le moins du monde le repos des voisins. Mais dans sa hâte d'être à l'abri de tout regard indiscret, il a oublié les clés sur la porte. Et n'a pas soupçonné qu'une voisine de palier n'attendait qu'une telle opportunité pour le traîner dans la boue. La femme, selon toute apparence dragon de vertu et voulant faire la "brigadière de mœurs" dans l'immeuble, a enfermé le couple et appelé la police. Quand le jeune homme s'est aperçu du guêpier dans lequel il s'est fait fourrer avec son amie, il a tenté de descendre par la fenêtre afin de rouvrir de l'extérieur la porte. Il voulait surtout épargner à son amie les conséquences fâcheuses d'une interpellation policière. Malheureusement, la tentative lui a coûté la vie. Il a glissé, et tombant à la renverse, il a succombé peu de temps après à une fracture crânienne.



A.Amri
03.08.2016



=== Notes ===

1- Voir Assyouti (السيوطي ), Alaâ Eddin al-Muttaki (علاء الدين علي المتقي), Al-Kharaiti (الخرائطي).

2- Attawbikh wat'tanbih (Blâme et Prévention).

3- Al-Bayhaqi rapporte dans Al-Sunan al-Kubra que le même calife Omar ne s'est pas permis de s'introduire dans la maison de Rabiâ ben Omaya ben Khalaf, alors que celui-ci était en train de faire la noce avec une joyeuse compagnie.

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