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vendredi 14 novembre 2014

Quand Marzouki joue le dévot au Croissant



En Tunisie comme dans le reste des pays du printemps arabe, taghout طاغوت , pluriel tawaghit طواغيت est un mot très prisé dans la rhétorique islamiste. Et très malfamé aussi dans l'entendement civil. Depuis que les jihadistes ont pris l'habitude d'en user et abuser pour désigner les cibles de leurs actes terroristes, le mot est devenu synonyme des maux qui infectent ledit printemps et ensanglantent ses pays.

Si l'arabe courant privilégie l'emploi de taghia طاغية, pluriel toughat طغاة pour appeler un despote exerçant un pouvoir tyrannique et injuste, la phraséologie islamo-jihadiste utilise plutôt le terme taghout et lui assigne une extension néologiste qui le dévie de son sens premier. Terme du même radical que le précédent, à valeur augmentative, taghout est davantage connoté que taghia; et il signifie un potentat qui exerce un pouvoir satanique, non conforme aux lois de Dieu. Dans le Coran, les occurrences de taghout sont associées à Satan, au sorcier, à l'idole ou à toute autre déité païenne. Le terme signifie aussi par extension le temple des idolâtres. En Tunisie, depuis les premiers actes terroristes visant des soldats, des agents de la police et de la garde nationale tunisiennes, et auparavant des opposants politiques de la Troïka, le terme taghout a acquis un sens nouveau. Lequel élargit son champ sémantique pour le faire couvrir ce que le philosophe français Louis Althusser appelle dans les années 1970 l'Appareil idéologique de l'Etat (1).


Que peut bien signifier dans la bouche d'un soi-disant laïque qui se réclame de la gauche et ancien militant des droits de l’homme(2), en l'occurrence Moncef Marzouki, le mot "taghout" employé au pluriel pour désigner son principal concurrent à la présidentielle et le parti de celui-ci Nidaa Tounes ?

En vérité, il serait malaisé d'imaginer que le candidat à sa propre succession songe à porter en sus du burnous qui lui sied si bien la djobba d'un dévot au Croissant. Cet homme n'est pas le type à se convertir à l'islam radical ni même aux conventions de la piété commune au point d'adopter le discours extrémiste, puritain et takfiriste. Ce serait se méprendre sur le compte d'un homme dont le positionnement de gauche n’a jamais varié en réalité, si ce n'est que l'homme, opportuniste et se prêtant aux compromis qui paient, a dû pactiser avec les islamistes pour arriver au pouvoir.
Comme il ne veut pas céder de si tôt ce pouvoir dont il n'a tiré que la gloriole du Tartour (guignol), et le céder de surcroit à un probable adversaire qui incarne à ses yeux un avatar de la dictature déchue (telle serait sa profonde conviction), il n'a d'autre alternative que de reconduire son pacte avec les islamistes, toutes tendances confondues.
Par conséquent, s'il faut jouer au tartuffe pour racoler l'électorat sur lequel il compte, comme un mal nécessaire, pour succéder à lui-même, il ne doit pas lésiner sur les moyens lui permettant d'être dans les bonnes grâce de tel électorat. Force est pour lui de s'approprier non seulement la phraséologie puritaine et rigoriste de la doctrine qu'il est censé combattre en tant que laïque, mais il doit composer aussi avec "l'avant-garde révolutionnaire" islamiste: les LPR (Ligues de protection de la révolution), les cheikhs salafistes tels que Béchir ben Hassen, les fanatiques et les énergumènes du révolutionnisme tels que Abderrahman Souguir l'ex-garde de Ben ALi, à ses yeux les plus capables de mobiliser dans son rang les ardents ennemis de la laïcité.

Reste à savoir si cette stratégie communicative opportuniste s'avère tout aussi payante de l'autre côté du mur. Les électeurs qui, aux récentes législatives, ont déjà sanctionné l'islamisme et les partis laïques ayant composé avec, ceux qui sont assez prévenus pour ne pas mordre dans cet appât  populiste et véreux, ceux qui en ont assez des agissements des LPR et consort, ceux pour qui la Tunisie ne peut plus parier sur Marzouki pour la sortir du terrorisme, du marasme économique et de l'incompétence diplomatique, ceux qui entendent l'emploi de "taghout" comme une complaisance à l'égard des jihadistes criminels, ceux-là, il n'est pas sûr qu'ils puissent pardonner à Marzouki ce dérapage de langue venimeux.

A. Amri
13.11.14

Notes:

1- Reprise par plusieurs philosophes, sociologues et politiques marxistes tels que Rémy Rieffel, François-Bernard Huyghe, Pierre Bourdieu, l'AIE est une notion qui analyse les modes de production capitaliste et leurs reproduction par l'accroissement du capital, ainsi que le rôle de l'Etat et sa collusion avec la classe bourgeoise dans la consécration de ces modes. L'AIE englobe deux composantes: appareils répressifs d’État (police, tribunaux, armée, les différentes administrations, etc.) et les superstructures idéologiques ( institution scolaire, religion, famille, syndicats, culture, etc.)

2- Élu président de la LTDH (Ligue tunisienne des droits de l'homme) au troisième congrès tenu en mars 1989, Moncef Marzouki a été évincé de la présidence au congrès suivant tenu en février 1994. De cette date-là à ce jour, soit depuis 20 ans, Moncef Marzouki n'est plus affilé à la LTDH.
Par conséquent, le candidat à sa propre succession ment dans sa campagne électorale quand il se targue d'être militant de la LTDH et ardent défenseur des droits de l'homme.


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