jeudi 7 mars 2013

Hasta Siempre, Hugo Chavez!



Qu’importe où nous surprendra la mort ; qu’elle soit la bienvenue pourvu que notre cri de guerre soit entendu, qu’une autre main se tende pour empoigner nos armes. (Guevara)


Quand j'ai vu ce cortège mercredi(1), Monsieur le Président, quand j'ai vu Caracas et ces épaisses marées humaines, tout le pays de Bolivar et peut-être même, déplacés d'avance pour aujourd'hui(2),  de nombreux frères d'Amérique latine, quand j'ai vu ces mines éplorées, les foules endeuillées, les enfants qui n'étaient pas là -on voyait cela dans leurs yeux, pour la gloire de passer à la télé, les pancartes qu'on tenait, avec des messages  qu'il n'est pas besoin de soumettre à un traducteur pour les soupçonner poignants et savoir de quel amour le Vénézuélien, ou tout autre soudé à la même foule, honore à travers sa dépouille Chavez, j'ai dit, non sans tristesse de ne pouvoir être plus près pour mieux vivre cet instant de communion humaine par excellence ce que je reproduis ici, et sans besoin de fioriture aucune -je pense:" voilà un homme, un président que son peuple ni ses amis n'enterreraient de si tôt."

Non, pas de sitôt, Monsieur le Président.
A l'instant où je vous écris ces lignes -je souligne
"vous écrit", Caracas et des centaines de millions derrière leurs télés dans le monde s'apprêtent à vous rendre les honneurs qui sont les vôtres. J'ai vu -nous avons été des millions à voir, d'autres cortèges par le passé, d'autres marées humaines. Le dernier, si ma mémoire ne me trompe pas, remonte aux funérailles de Diana en 97. Ce n'était pas pour la même communion ni une communion de saints arabes, mais je n'avais pu résister quand même au désir de la suivre à la télé. Sans doute bien plus pour le côté romantique et romanesque -cette histoire d'amour tragique sur laquelle, à l'époque, les médias s'étaient focalisés pour un bon bout de temps, entre d'une part une princesse, la princesse de Galles, et d'autre part ce bel Arabe jusque-là inconnu(3). Bien que ce dernier soit fils de milliardaire et naturalisé cousin germain de Yankees, cette romance sentimentale qui, à mon sens, sortait du commun rapporté par les échotiers des médias, et jusque dans sa fin qui intrigue encore et passionne beaucoup de gens, ne s'était pas imposée fortuitement -ni du seul effet médiatique, à l'intérêt de ceux qui l'avaient suivie. Mais parce qu'elle ressuscitait de l'inconscient collectif, et essentiellement pour cette raison-là, ce que nous recevons de nos contes d'enfants, lus ou racontés. Je veux dire l'incarnation vivante d'un amour impossible, parce que les barrières que dresse la doxa des uns et des autres le rendent tel, mais qui s'était réalisé quand même. Chose qui n'arrive que dans les contes de fées, à la faveur d'une baguette magique et d'une bonne sorcière -à quoi ajouter les talents du conteur et les attentes du lecteur ou de l'auditeur. J'ajouterais, concernant ces attentes, que si la mort (accidentelle ou criminelle comme le supposent certains) de ces deux héros de conte à fée ne correspond pas nécessairement aux normes consacrés par le conte, du fait de cette union des deux corps tués dans l'accident, elle concorde quand même avec ces normes, puisqu'elle consacre dans la mort le triomphe final de l'amour.

J'ai vu aussi, et nous avions été des millions à suivre ces Actualités que le cinéma nous servait à l'époque, d'autres cortèges funèbres.
 
Au Caire surtout, il y a un bail: Nasser, Oum Kalthoum, Abdelhalim. Les séquences enregistrées dans ma tête, je crois -en noir et blanc pour Nasser, en couleurs pour les chanteurs, sont à ce jour  indélébiles. Pour ce que j'appellerais la grandeur ineffable des dieux vénérés par leurs dévots, et j'en étais un, dont on ne pouvait se défaire, tant les images crevaient l'écran.
Oh, je sais, Monsieur le Président, comme peut-être le saviez vous-mêmes qui aviez beaucoup d'amour pour les peuples arabes, que c'est dans la nature de l'homme, et des humbles dans notre monde surtout, de s'attacher à tels dieux, d'y aller parfois sans la moindre réserve d'excès, de façon trop impulsive, instinctive, irréfléchie(4). Nos peuples, faute de bonheur dans la prospérité matérielle et politique dont ils rêvent au fil des générations sans jamais y parvenir, trouvent un peu -voire beaucoup- de consolation dans cette vénération pour telle ou telle icône élue, ce culte viscéral -je crois commun aux peuples déshérités- qui comble d'une certaine manière le vide affectif et, plus important encore, le vide dans les tripes. C'est ce qui donnerait son plein sens à "culte viscéral".

Néanmoins, et ce serait vrai pour Nasser comme pour les deux icônes artistiques -à mon sens, sans toutes les qualités extraordinaires de ces trois personnages, sans leur implication chacun à
son niveau propre dans la vie d'une nation, le culte n'aurait pas été si grand(5). Nasser, certes mal servi par l'amère déconvenue historique résultant de la défaite de juin 67, défaite qui nous a marqués à ce jour,  mais ayant quand même son inaltérable aura charismatique, son auréole de caïd chouchouté par les masses, qui, comme vous Monsieur le Président, ne s'était pas incliné devant les Yankees de merde(6), nous l'avions aimé pour cette résistance-là, mais aussi, parce que colonne vertébrale de la résistance, pour le socialisme qui nous tenait -et tient toujours- à cœur. Le panarabisme en soi, même si nous nous y étions investis derrière la stature de celui qui le prônait, sincère et pas seulement qu'à des fins militaires stratégiques -la guerre contre Israël, ne comptait pour nous ni n'avait de credo que dans la mesure où il nous paraissait pièce charnière, incontournable dans le rêve socialiste. Le modèle égyptien, nationalisation du canal de Suez et la révolution agraire, nous permettait d'escompter de futurs acquis socialistes, au fur et à mesure que la charnière soit mise en place, que notre union arabe soit réalisée. Le pétrole surtout, entre les mains de ce "personnel auxiliaire étasunien", ces caniches courbés, aplatis et castrés au service de l'impérialiste yankee et son protégé sioniste dans la région, ne pourrait être écarté de nos rêves. La manne du bonheur commun y résidait. Saisie et ajoutée aux acquis réalisés en Égypte, cette manne ne pourrait que consolider le projet nassériste, le socialisme arabe, et dans le sillage de tel acquis le socialisme à construire et étendre au reste du monde.

C'était cela notre rêve arabe, à travers des frontières rayées, dynamitées sur la carte du monde arabe, condition primordiale sans quoi le triomphe du socialisme resterait pour nous utopie, qui nous attachait au panarabisme de Nasser.

Aujourd'hui, si à son prélude depuis la mort de Bouazizi en Tunisie à la révolution yéménite,  le
Printemps arabe nous avait offert de magnifiques instants que personne ne contesterait, la suite, et vous en saviez quelque chose, Monsieur le Président, laisse bien plus à (en) déchanter qu'à chanter la révolution. En Egypte post-nassérienne,  si les deux chanteurs égyptiens, 40 ans après leur mort, seraient toujours au top des ventes, cassettes et CD confondus, Nasser, je crois, ne se vend plus beaucoup au rayon Politique. Oh, je sais qu'il faut faire la part des choses, ne pas mettre au même panier les vendus et ceux qui résistent encore; néanmoins, je ne me fais plus beaucoup d'illusions pour l'avenir du panarabisme. Je dirais que les millions marchant dans le cortège du Raies ne sont pas, ou plus, aussi romantiques que leurs fans à Abdelhalim et Oum Kalthoum. Je dirais même que s'ils ne sont plus aujourd'hui de ce monde -pour la plupart du moins, seraient - ou sont passés de vieille date dans le rang des parjures

Vous avez vu, Monsieur le Président, ce que les Arabes ont fait de votre frère Saddam? puis de Kaddafi? Vous avez vu ce qu'ils ont fait à la Syrie? Vous avez vu cette haine de chameaux vouée à Bashar? Tout un pays détruit et à détruire jusqu'à la dernière pierre, à transformer en poussière, et c'est ce vers quoi ils espèrent arriver par leur zèle de chameaux, à grand renfort de pétrorials et de sorcellerie noire (qu'ils appellent islamisme) . Et pourquoi, Monsieur le Président? Sauf votre respect, pour la merde de leur Califat et la gloire de leurs barbes! Pour des chimères pourries qui font branler les eunuques! Et vous devinez, Monsieur le Président, comment ces dégénérés vautrés dans toutes les turpitudes du wahabisme s'y prennent pour se branler! Alors qu'Israël est beaucoup plus à portée de leurs frontières s'ils n'étaient dégénérés, que les balles, les canons, les rials, les âmes par-dessus tout envoyées à l'enfer, auraient été plus payants pour la cause palestinienne et le salut arabe, ils ne s'embarrassent pas, même pas, au clair du jour et pour la honte de l'histoire, de donner le derrière à Israël pour l'aider à sortir du pied l'épine syrienne.  Ils collaborent avec l'ennemi des peuples et de la nation, et l'ennemi les tire et jubile!Et il a raison de jubiler. Un à un depuis Nasser à la moitié de Bashar -jusqu'à preuve du contraire, en attendant Nasrallah et Ahmadinejad (qui juste à l'instant, me dit-on, est arrivé à Caracas pour vous rendre ce que lui et son peuple vous doivent) les cartes maîtresses, les atouts que l'ennemi sioniste voulait nous ôter de la main, sont tombés, pour son grand bonheur, ou en passe de tomber actuellement.


Pourrais-je, Monsieur le Président, avant de finir et dans ce que j'ai voulu comme un lot de consolation, compensation morale à celui qui ne peut conter sur une baguette magique, un conte de fées, pour être à ce moment précis au cimetière accueillant votre dépouille, puis-je, abusant et désabusant de la politesse stylistique(6)  me permettre de décharger une mince goutte de la bile qui me monte au gosier?
Ces enculés! ces eunuques tenus en laisse par les Yankees de merde, et les foules par millions qui les encensent et oublient, au delà de tout ce qu'on pourrait leur reprocher- Nasser, Saddam, Kadhafi, Bashar, Nasrallah, et bien d'autres, pour leur infaillible insoumission au diktat sioniste et yankee, cette merde déferlante qui sort des chiottes wahabistes, et pour profaner, prostituer notre révolution et étouffer notre printemps, pourrais-je lui dire, sans manquer à la solennité du moment: "tfouh! pouah, valets du sionisme et des Yankees de merde!"

M
ais qu'importe!
Qu'importe tant qu'il y aura des révolutionnaires, et des vrais, pour rendre au Printemps les roses fanées, au jasmin sa fraicheur immaculée, à la révolution le credo pour lequel elle es née!

Qu'importe tant
qu'il y aura des révolutionnaires, et des vrais, pour la passation d'armes! En Amérique latine comme ici, en Europe comme ailleurs, pour le même combat qui unit, au dessus des bannières raciales, confessionnelles, chauvines -à quelque titre soient-elles, les peuples des cinq continents, le même idéal de bonheur commun loin des haines entretenues par les ennemis du genre humain, tant qu'il y aura des Chavez pour le relai de Hugo, que les peuples diront non aux croisés et croissantés coalisés contre le progrès, la justice, de la fraternité entre les nations, cette merde ne souillera que ses chieurs, porteurs et promoteurs.

Et le moment venu, Monsieur le Président, serment de frère, si ce n'est pas moi qui l'écrirais pour vous sur une feuille comme celle-ci, ce sera mon fils, mon petit-fils, mon arrière petit-fils!

Avant de vous quitter, Monsieur le Président, non pas pour  un moment de dévotion devant ma télé, non pour la grandeur ineffable du frère, ami, camarade, mais pour cette communion humaine évoquée au début de ce texte, je voudrais vous dire, ou lire plutôt ceci, extrait d'un vieux discours
de Castro(8), en fait l'oraison funèbre dédiée au Che, préfaçant le livre posthume de ce dernier, Journal de Bolivie(9). Vous l'avez sûrement lu et aimé ce bel hommage du président cubain à celui qui est devenu depuis l'enfant du monde entier. C'est le passage précédant de peu la fin de l'oraison:


"
Si nous devons dire comment nous voulons que soient nos combattants révolutionnaires, nos militants, nos hommes, nous dirons sans aucune hésitation : qu’ils soient comme le Ché ! Si nous voulons exprimer comment nous voulons que soient les hommes des prochaines générations, nous disons : comme le Ché ! Si nous voulons dire comment nous désirons que nos fils soient éduqués, nuous devons dire sans hésitation : nous voulons qu’ils s’éduquent dans l’esprit du Ché ! Si nous voulons un modèle d’homme qui n’appartienne pas à ce temps mais à l’avenir, en vérité, je vous dis que ce modèle sans tache dans sa conduite, dans ses attitudes, dans sa manière d’agir, ce modèle est le Ché ! Et de tout notre cœur d’enthousiastes révolutionnaires, nous souhaitons que nos fils soient comme le Ché !
"

Je ne pense pas qu'il faille demander à Castro -pour ne pas avoir à léser ses droits d'auteur ou d'orateur, à supposer que le cas s'y prête, l'autorisation de faire mien cet extrait. Et de toutes façons, autorisée ou pas, je vous la dédie à vous, Monsieur le Président, cette citation. A vous Hugo Chavez, avec votre nom en lettres d'or à inscrire à côté du Che.

Pour l'amour qui attache les
peuples d'Amérique latine et vos frères des cinq continents à votre personne.
Pour le charisme qui fait de vous un des nôtres, éclipsant d'un côté le statut présidentiel et ce qui relève de ses prérogatives et privilèges, et d'autre part tout ce qui fait la condition de l'humble, sa  petitesse, sa pauvreté, son anonymat. Il y a un bail que nous voyons autour de nous le populisme vomitif des "nôtres", l'opportunisme savant et bouffon qu'on cultive pour ses bienfaits à la politique politicienne.  Mais seuls les abrutis pourraient soupçonner chez vous une tare du même ordre. L'or et le fer ne sont pas comparables. 
Pour la stature et l'auréole vôtres dues au révolutionnaire juste et irréductible, plus fort que "les Yankees de merde". Et vos coups de gueule, célèbres au monde entier, contre les impérialistes étasuniens, contre Israël, contre le FMI, contre les vampires de ce monde où qu'ils nous saignent, entre tant d'actes de courage vôtres, que nous n'oublierons pas de si tôt.

Pour tant de qualités qui ne peuvent que forcer
l'estime des hommes libres sur cette  terre, je voudrais vous dire, Hugo Chavez:
vous n'êtes pas -pas plus que ne l'était le Che avant vous- d'un seul pays ni d'un seul temps.



Hasta Siempre(10), Hugo Chavez!
 A. Amri
07 et 8.03.13

                                         Commandanté, ces deux vidéos sont à vous:
                                              
                                               Nathalie Cardone: Hasta Siempre

                                        Chavez: Allez au diable, yankees de merde! (*)


*-
Nous sommes le 12 septembre 2008.
Comme il l'a fait par le passé avec Israël, en soutien aux peuples arabes en lutte, le Commandanté donne une claque aux USA:"Allez au diable, Yankees de merde!"

Hugo Rafael Chávez, fidèle à lui-même, payant ric-à-rac les Américains qui viennent d'annoncer l'expulsion de l'ambassadeur bolivien aux USA.
En soutien au peuple frère de Bolivie, le Commandanté ordonne à l'ambassadeur des yankees de quitter le territoire vénézuélien dans les 72h, à compter de ce discours!

Enfant de Bolivar, de Guaicaipuro, de Tupac Amaru, je vous tire mon chapeau!




Notes:

1- 6 mars 2013.

2- 8 mars 2013.
3- Dodi Fayed
4- Exemple de ce culte aliénant, la mort par suicide de nombreuses jeunes filles en Egypte, après l'annonce du décès de leur idole Abdelhlim Hafez.

5- Concernant les deux vedettes de la chanson citées, rappelons que Oum Kalthoum consacrait la plus grosse part des recettes de ses galas pour financer les préparatifs à la guerre de juin 67. A cet égard, même si ses chansons ne sont pas engagés, ses concerts et son abnégation pour les intérêts patriotiques et nationalistes faisaient d'elle, à part entière, une chanteuse engagée. Abdelhalim, quant à lui, il était le chanteur de la Révolution des Officiers Libres. Son soutien à Nasser faisait de lui également, au même titre que Oum Kalthoum, un chanteur engagé.
6- Yankees de merde n'est pas seulement une insulte chère à Chavez (voir vidéo correspondante) mais elle serait aux révolutionnaires de l'Amérique latine ce que pourrait être, pour conjuer le Diable, la meilleure formule d'exorcisme chez les croyants!

7- Par politesse stylistique, c'est surtout à la prétérition que je fais ici allusion.
8- Huit jours après la mort de Che Guvera en Bolivie, les Cubains qui espéraient que les annonces par Les Américains de la capture et l'exécution du Che ne seraient que de l'intox, ayant la certitude là-dessus, organisent à la Havane une veillée funèbre rassemblant une foule monstre, en hommage au héros mort en martyr. A cette occasion, Fidel Castro prononce une oraison funèbre, très bel hommage, qui sera publiée en préface au Journal posthume du Che.

9- Journal de Bolivie, Ernesto Che Guevara, Editions Maspero (c'est la maison à quoi je dois mon vieux exemplaire, sinon ledit Journal a été réédité par plusieurs maisons).
10- Hasta Siempre, en espagnol à l'éternité, jusqu'à toujours, traduit un sermon, une promesse de fidélité.

dimanche 3 mars 2013

Majda Roumi dans le plus bel épitre d'amour que jamais Tunisien n'ait reçu

C'est trop peu dire que les mots traduits sur ce support vidéo, prononcés depuis Beyrouth par Majida El Roumi,  sont un hommage, beau et éclatant, au peuple tunisien qui l'aime et qu'elle aime.

Trop peu dire que c'est une étreinte d'amour, au lendemain de l'assassinat de Chokri Belaid, dédiée depuis les côtes libanaises aux "Aigles indomptables, rois des sommets escarpés", perchés sur les rocs de Carthage, les dignes héritiers du passé phénicien commun, petits enfants de Didon et d'Hannibal.

Trop peu dire!...

Et les mots ne pourraient que claudiquer ainsi à l'infini avant d'en dire peut-être quelque chose d'approximatif à travers ce qui suit.

C'est une lettre d'Amour, et avec un grand "A",  marquée au sceau de Cupidon, estampillée aux traits du jeune archer, écrite à l'encre chaude et cursive d'un cœur livré à nu. Cœur de la diva chouchoute des millions, née sur la scène de Carthage en 1980, qui pétille de ses vers et sa verve, de sa coupe à-ras-bord pleine et fleurant bon le nectar libanais, dictant à la télé qui la relaie, puis au scribe qui boit, trinque et vous le rapporte tel quel, le plus bel épitre d'amour que jamais Tunisien, de quelque rang ou sang soit-il, n'ait reçu de sa Leyla ou Dulcinée !


" La Tunisie surplombe l'univers, à partir de sa baie vitrée avancée dans les domaines culturel et artistique, de par ses valeurs universelles, qui en révèlent la richesse tout autant que l'importance. Il sera très difficile, et c'est peu dire, pour ceux qui tentent d'assombrir cette vitrine, de parvenir à leurs fins[...]  Le peuple tunisien est un génie titanesque: il ne reviendra pas à la bouteille dont il s'est libéré. Ils ne pourront pas mettre à la basse-cour un tel génie.

Quand Bouazizi est mort, le peuple tunisien a fourni une attestation, et des plus émouvante, par quoi il s'est engagé à défendre la liberté. Ce qui est survenu par la suite, c'est la magouille des nations combinant pour chiper les marrons tirés du feu. Ces rapaces extérieurs ne pouvaient laisser les Tunisiens agir et choisir à leur guise.
Les Tunisiens, tels que j'ai connus, sont difficile, trop difficile à remettre en fiole, et faire accepter qu'on remette dessus le bouchon[...] Quelles que soient l'épreuve, l'adversité, ces tribulations et leur durée, la longueur du tunnel et sa noirceur qu'il lui faudra traverser, le peuple tunisien, peuple artiste, instruit, pour qui le ticket de théâtre prime sur le pain à manger, ce peuple d'aigles, rois des sommets, habitués aux sommets, ils ne pourront pas l'apprivoiser! Ils ne pourront pas lui rogner les ailes, faire de lui une volaille de basse-cour. Jamais ils n'y parviendront. C'est dans sa nature à ce peuple, il n'est pas du tout domesticable!

La Tunisie est mon amie de toujours. C'est la compagne de mon parcours artistique. La première fois que j'ai chanté, en 1980, c'était en Tunisie. Je m'en souviens bien, très bien même.
A mes amis, mes bien-aimés avec qui j'ai vécu des nuits inoubliables en Tunisie, à ceux qui, et c'est viscéral, vivent dedans moi, dans mon cœur, de sorte que tout ce qu'ils endurent comme souffrances, je le partage avec eux, à ces fleuristes horticulteurs du Beau, où qu'ils manifestent leur désaveu aux aberrations faites en leur nom, où qu'ils s'attroupent pour écouter un poème arabe, ou écouter dévotement une chanson, ou chanter eux-mêmes en chœur, je leur dis:" l'amour est réciproque." Ce sont eux qui nous ont ouvert en premier les portes de la Tunisie, aux pires moments de nos années de braise, les années de la guerre civile au Liban, et ils ont fait leur,  et au delà de tout ce qu'on peut imaginer, la cause libanaise, à l'exemple de ce public dont l'image est tatouée dans ma tête, qui s'était levé, cinq minutes durant, cinq minutes pour un tonnerre d'applaudissements inoubliables, le jour où j'ai chanté à Carthage pour les enfants de Cana.

Aujourd'hui à mon tour, je voudrais leur rendre la pareille et leur dire:" ma voix est à votre disposition!" S'ils veulent que je chante sur la rue, sur une ligne de feu ou à Carthage, Carthage où toutes les fois que son théâtre m'a accueillie, c'était avec 15 mille sur les gradins, dont les belles grappes chantant en chœur, et du cœur, avec moi.
A ceux-là je dis: en tout lieu et tout moment, ma voix est à leur disposition, si cela peut briser le cerceau de feu qui les entoure."

Propos de Majida Al Roumi, chanteuse libanaise.
Traduits par A. Amri
03.03.2013


Les props de Majida Al Roumi dans leur intégralité:
Vidéo traduite en français

samedi 2 mars 2013

A Ines

Ines, mastérienne et professeure d'anglais, est présidente de l'Organisation Volonté et Citoyenneté (OVC) qu'elle a fondée avec un groupe de jeunes gabésiens en 2011, au lendemain de la chute de Ben Ali. Grâce à ses actions et aux conférences qu'elle a organisées, l'OVC n'a pas tardé à se faire un honorable renom  en Tunisie. Les invitations périodiques de sa présidente sur les antennes de la RTC et d'Oasis FM ont élargi à l'échelle nationale le champ de cette renommée. Le 10 décembre 2012, Ines devait se faire recevoir par le Président de la république, au Palais de Carthage, pour la commémoration de la journée mondiale des Droits de l'Homme. Même si, à cause d'un contretemps postal empêchant la réception en son temps de l'invitation, la présidente de l'OVC n'a pu se rendre à l'évènement, le rayonnement de l'OVC n'a fait que s'accroître, au fur et à mesure du travail accompli à Gabès. Dès 2012, traversant les frontières nationales, ce rayonnement à permis à la présidente Ines d'être invitée à de nombreux forums et conférences internationaux. Après l'Italie, l'Egypte, la Turquie, et en attendant les USA et l'Allemagne bientôt, Ines a participé à Vienne, du 26 au 28 février 2013, aux travaux d'un colloque sur le thème de l'Alliance des civilisations.

Pour n'avoir pas tenu ma promesse de suivre ses nouvelles sur Facebook, je dédie à Ines ce papier. Et j'espère avoir fait à son endroit,
ici, amende honorable!

Tu me pardonneras, ma petite Noussa, de n'avoir découvert ces photos qu'à l'instant. Mais tu sais
bien que si je ne rôde pas trop souvent autour de ton mur fb, pas plus que je ne rôde autour de leurs murs à tes cadets, ce n'est pas par indifférence à ce que tu fais et donnes à ton pays, avant même d'en honorer ton nom et ta famille. D'ailleurs avec Samih, c'est pareil. J'ai un côté "poule" que tu ne soupçonnes pas, couvrant des ailes la couvée, les poussins, qu'il ne peut trop exposer au soleil de peur que cela fasse des "dégâts". Pas par indifférence, donc, mais parce que je n'ai plus aucun doute que ce que je vous ai transmis à la fois comme père et comme enseignant, à vous deux comme à vos cadets, vous l'avez non seulement acquis au delà de ce que je pouvais espérer, mais vous lui donnez incessamment ce qui fait ma fierté d'être citoyen tunisien.

Oui, je dis bien citoyen TUNISIEN, et non ce qui nous attache en-deçà et au-delà , ici et ailleurs, comme membres de famille.

Oublie, donc un peu, le père et l'enseignant dans ce que je vais te dire ici. Écoute plutôt seulement l'enfant de ton pays, le compatriote -si le préfixe pas très coquet ne te fait pas rire!
La diplomatie du savoir, et ce que le mot englobe, les vertus du multilinguisme, et ce que cette inappréciable panoplie d’autodéfense et de combat donne à celui qui a la chance de s'en armer, l'armature de la culture humaniste, et les possibilités et champs d'action qu'elle nous ouvre pour conquérir dans la cour des grands, à bon droit, ce que la prison de la pensée unique ne permet pas, sans oublier tout ce qui s'acquiert au creuset identitaire et qu'il ne faudra ni concéder ni sacrifier sous aucun prétexte, pour autant qu'il ne soit pas altéré par les faussaires de nos valeurs universelles et de notre histoire, qu'il enrichisse l'humanisme et l'humanité, sont -et devraient l'être toujours- ce qu'il y a de plus précieux à donner au citoyen. Avec le pain, cela va de soi, la dignité, chère à tous les hommes libres, pour laquelle Bouazizi et des centaines de jeunes ont refusé une vie de chiens, la liberté sans quoi il n'y a ni savoir ni pain ni dignité.

A cet égard, le magnifique travail auquel tu t'es attelée de toi-même, honorant le citoyen que je suis, tes combats au sein de
l'OVC pour faire valoir ce pourquoi notre histoire a consenti une révolution et des martyrs, tes percées diplomatiques sur la scène internationale, non seulement sont vitaux pour ton pays, pour ta Tunisie pas trop servie par des tribulations dont elle tarde à sortir, mais réparent aussi d'une certaine manière, pour la Tunisie comme pour les peuples frères et voisins, ces énormes dégâts qu'on dénombre ici comme ailleurs, non sans les attribuer quelquefois à tort (quand par un certain confort intellectuel on cède à la tentation de systématiser et généraliser) à notre culture, notre "race", notre religion, ou nos nationalités, etc.

Je termine. Et je crois qu'il ne sera pas indécent si je renvoie ici la parole à l'enseignant: l'école est l'avenir des peuples. Et dieu merci, ton professeur peut dire qu'il n'a pas failli, de ce côté, à sa mission.
Comme je l'ai fait, quoique plus modestement, pour Samih il y a quelques jours, que je ferai le moment venu pour vos cadets si je suis encore là, et quand ils m'auront prouvé à leur tour que j'ai honoré mon contrat avec tous les poussins, il ne sera pas indécent non plus de te dire, Noussa: il n'y a pas de raison que je ne sois pas fier de toi.

A. Amri
02.03.13

jeudi 28 février 2013

Un procès contre l'intelligence tunisienne

    "C'est une longue lutte historique qui continue, entre d'une part une force rétrograde, passéiste, armée de sa culture de la mort, avec sa violence, sa négation de l'autre, sa pensée unique, sa couleur unique, son souverain unique et sa lecture unique du texte sacré, et d'autre part la pensée qui plaide l'humain, qui évolue dans une perspective plutôt relativiste, laquelle voit dans la Tunisie un jardin à mille fleurs et autant de couleurs, qui autorise la divergence dans la diversité mais régie par les vertus civiques, pacifiques, démocratiques."   
Chokri Belaid - 23 janvier 2012 (Nessma TV)

   

Le procès pour délit d'opinion intenté contre Raja Ben Slama, et sur la base de lois rendues caduques par la révolution tunisienne, n'est plus ni moins qu'un acte de terreur d’État dirigé contre un symbole de la résistance intellectuelle.

Malgré les vulgaires oripeaux dont il est affublé et qui en placent le motif au chapitre diffamatoire(*), ce procès s'inscrit dans le prolongement du travail de sape par quoi la taupe islamiste, depuis tantôt seize mois œuvrant à ronger les bases de l’État, tente de neutraliser le bastion universitaire, l'intelligence et son gratin qui ne lui facilitent pas la tâche. Les croissantades salafistes ayant pour objet les doyens de plusieurs facultés, dont celui de Manouba Habib Kazdaghli, les sordides campagnes de diffamation puis les poursuites judiciaires orchestrées contre ce dernier, entre autres manœuvres visant le système éducatif dans sa totalité, n'étaient que les premiers paliers de la sourde entreprise ciblant nos têtes, qui se poursuit avec hargne, et dans l'enchaînement d'un tel plan machiavélique bien ordonné, à l'ombre de ce nouveau procès.

Ce que les islamistes visent à travers Raja Ben Slama s'inscrit dans la droite ligne de leur sale guerre, engagée bien avant même les élections d'octobre 2011, contre la cervelle de la Tunisie. "Listes noires" d'intellectuels et auteurs à abattre, faute de pouvoir les vacciner contre la pensée, ennemis jurés du projet islamiste à harceler où qu'ils soient debout, à traîner dans la fange, faute de pouvoir les mettre sur la "bonne voie", cheptel à mener par le bout du nez dans les passages cloutés de la pensée cheikhale, volailles de basse-cour à engraisser dans les saintes vertus de l'abrutie. Ce sont là les signes précurseurs de notre future prospérité, là leurs actions boursières à valeur porteuse, qui fructifieront au fur et à mesure que nos têtes, désinfectées de tous les virus de la pensée critique,  se satelliseront à la sainte Kaaba du Wahabisme. Plus nous serons cons, plus les caisses de l'Etat califatif seront renflouées. Alors procès! procès! procès, s'il vous plait!

Dans les divers épisodes de cette incessante chasse aux sorcières visant les politiques, les artistes, les journalistes, les médias qui refusent de s'aplatir devant la dictature naissante des islamistes, après l'escalade des violences conduisant à l'assassinat de Chokri Belaid le 6 février dernier, le procès intenté contre cette irréductible résistante de la pensée éclairée tunisienne, outre qu'il ne peut que susciter l'indignation des femmes et hommes libres de ce pays, n'affectera en rien la détermination des intellectuels, soudés aux forces vives de la Tunisie, à poursuivre sans répit ni compromis de conscience ni concession aucune-de droit ou de liberté- la lutte contre les ennemis jurés de l’intelligence.

A. Amri
1er mars 2013


--------- Prière de signer les pétitions de soutien à Raja Ben Slama:

http://www.petitions24.net/petition_en_faveur_de_raja_benslama_et_pour_les_libertes_en_tunis

http://raja2013.com/raja/
 

*- A la fois parce qu'universitaire ayant voix, opposante de poids et membre de l'état-major de Nidaa Tounes, Raja Ben Slama ne peut que constituer une cible privilégiée pour les tireurs d'élite nahdhaouis. Poursuivie pour avoir provoqué Habib kheder, député à l’ANC et rapporteur général de la constitution, dont elle a "critiqué le rendement et le travail", on comprend bien ici que les vrais tenants et aboutissants de ce procès n'ont rien à voir avec la présumée diffamation dont Ben Slama est accusée.

lundi 25 février 2013

صنم وأصنام

من أخي وحبيبي فاخر الطريقي، بخصوص تعقيب نشرته على الفيس بوك يوم 19 فيفيري 2013 في موضوع تدمير النصب التذكاري الذي أقيم بالمكان الشاهد على اغتيال الشهيد شكري بلعيد، جاءني هذا الإستفسار: " سي احمد...او بعد إذنك أخي أحمد العامري ... ولي الشرف و أعتز بذالك ...لم أفهم ما دخل المواضيع التي كتبتها على يسري الطريقي في صفحاتك في تلك الملحمة العالمية الرائعة و هذا الموضوع الخاص بتحطيم الصنم التذكاري لمقتل شكري بلعيد ؟؟"


صراحة، أخي فاخر، وأرجو ألا تفسد الصراحة للود سبيلا، لا أرى في مَعْـلَمٍ بسيط يقام على المكان الذي شهد اغتيال شكري بلعيد هذا الصنم الذي يستوجب تطهيرا "مكيا" في تونس. لأن المضامين التي نــحَمّـلُها كثيرا لبعض الكلمات باسم الدين والغيرة على المقدس لا يجوز في رأيي توضيفها هنا ولا يصح إلصاقها بما لا يليق
- ثقافيا ووطنيا- بالسياق الصحيح للنصب التذكاري.. إلا لو تأكد لك ولي على سبيل المثال أن فيمن كان يؤم "الصنم التذكاري" مرضى جاءوا يبغون شفاء من شلل أو برص أو عمى، أو من قاربت سن اليأس بمبخرة تطوف أملا في خلاص من عنس، أو من نحر شاة وثورا ليستمطر ويستنفر بركة الحجر وحوله في قلب "الصنم" المشار اليه. وإن وقع شيء من هذا فعلا، دون علمي وعامة الناس به في الأيام القليلة التي شهدت نصب الصنم، فاعذرني عما قد يبدو لك في ظاهره تهكما ولكنه يود استنفار ما توحي به مضامين الخطاب، وفقط هذا الإستنفار، لا استفزاز مشاعر الأخ والصديق ...

أخي فاخر، أنت مثلي مٌـــرَبٍّ أفنيت العمر في خدمة التعليم وكونت في ميدانك من الأجيال الكثير، وصقلت لتونس من طاقات شبابها ما تشهد به السيرة الذاتية للمربي والممرن على حد السواء، وفوق هذا كله أعطيت أحد فلذات الكبد لما تؤمن أنه في صالح العرب والمسلمين، جمعتني وإياك محنة الإخاء والمواطنة والزمالة والإيمان بقداسة الحق في الحياة لمن رأينا فيه أنه لم ينل
لا كثيرا ولا قليلا  من نصيبه في نزاهة التحقيق وقانونية الدفاع وشرعية المحاكمة..ورغم علمك وعلمي المسبق بأن السياسة في خطك أو خطي قد لا تجمع بيننا لما في هذا الخط أو ذاك من فوارق وربما تنافر، اجتمعنا دون قيد من هذا القبيل ولا حساب او احتساب دنيوي رخيص، في الدفاع عن قداسة الحياة، عن نفس بشرية هي مني ومنك ولك ولي، من تونس ولتونس، من الإنسان وللإنسان، بصرف النظر عما هو بالإسم والصلب منك ولك وحدك..ولست ممن يمتَنّ بشيء على نفسه أو أخيه حتى أعود لهذه المحنة وأطرح في سياق ما طرحت روابط للتدليل عليها لولا سوء الفهم الذي يحصل لدى الكثير ممن لا يعرفني بخصوص مواقفي السياسية، وأخص بالذكر هنا هؤلاء الذين يعيشون في المهجر ويعانون من عداء مقيت للإسلام والإسلاميين، فيتصورون ان الصراع الذي نعيشه في تونس بين إسلاميين وخصومهم هو امتداد لذلك العداء الذي يواجهونه في الغرب، والذي تصديت له
حيثما تسنى لي ذلك، أحيانا عدة بشراسة اللسان وفي أحيان أخرى بصداقات مع غربيين وحوارات وتراجم لموروثنا الثقافي قد لا يتضح لمن يتابعها دون تفكير أنها تخدم غرضا آخر غير ما تحمله الترجمة لكن تأثيرها على المتقبل الغربي والكثير ممن يحملون تصورا خاطئا عن العرب والمسلمين حتى وإن لم يتضح في المدى السريع أو المتوسط، يتجلى بصفة تدريجية فيما يلمس لاحقا من تغير الخطاب معي وتعامل المتقبل لتلك التراجم مع ما أسميه الوجه الآخر للإسلام.. وفي هذا الخصوص بإمكاني ان اقول: لقد دافعت عن ديني وثقافتي وهويتي بالتي هي أحسن.. 

لولا سوء الفهم هذا وتكرّرٍه في عديد المرات بحقي لما كلفت نفسي الرجوع  لنصوص الدفاع عن يسري .. لأنك في مكاني لن تستطيع مواجهة المعادلات المغلوطة،  وكثيرة هي التي يتداولها سجناء الرأي الأوحد في الوطن وخارجه، من قبيل "غير إسلامي= غير مسلم" ، "غير إسلامي=معادي للإسلام"، "يساري=يتيم فرنسا"، "فرنسي اللسان= مُنْـبَـتّ الهوية".. وهلم جرا مما يُـتَـداول كمسَـــلّــمات على صفحات العديد من خصوم اليسار، وهو المخرج الذي توخيته في نهاية المطاف لرفع هذا الإلتباس أو التجني المقصود، ولسان حالي يقول: يا اسلاميين، رجاء خذوا ما لكم ولكن لا تتعدوا عما هو للمسلم ولي أنا بالذات.. وهو ما قصدته في الرد عمن اتهمني بأني "كلب حراسة" ويقيني أنه يجهل حتى مصدر العبارة الأول قبل أن أرد عليه بالكلام الذي استوجب تدخلك للإستفسار عن العلاقة بين ما أشرت اليه بــعبارة "الملحمة العالمية" وسياق "الصنم" المكسور..
 أخي فاخر، في سياق ما جمعنا  منذ الخطوط الأولى، منتصف 2011، لما تـــنسبه لي وهو أكبر من حجمي لأن الملحمة الحقيقية هي ما عشته أنت وعائلتك في تلك الفترة العصيبة، وما كنت فيها من ناحيتي غير شاهد بسيط متواضع حاول كسر الصمت فيما تبين له وفق أكثر من دليل أنه جريمة قضائية ومايزال يراها كذلك ليومنا هذا، ولكن لأن الشاهد لم يكسر صمتا في السابق بخصوص محاولات لصده عن خدمة "السلفية وأتباع القاعدة" - ولن أذكر هنا إلا ما يقتضيه السياق، فيما نشرته تباعا من حقائق ونداءات دفاعا عن الشهيد يسري، أقول إذا كان لي شئ  يستوجب فخري واعتزازي بما قمت به، حتى وإن لم يكلل بما كنا نصبو إليه، فهو، إضافة لثباتي في الدفاع عن الشهيد حتى آخر رمق من حياته، ما لم أنشره على أي صفحة،  باستثناء تعقيبات تتنزل في نفس الدفاع، في ردي عن "أهلي" من اليسار.. لأن سجناء الرأي الأوحد ليسوا من شق واحد، لأن محاكم التفتيش في عقائد السجناء لا تتمايز هنا أو هناك،  لأن لليسار "شيوخ تكفيره" كما في الدين، ولأنني رفضت دوما كل السجون مهما كان حراسها، اينما اضطهد انسان في الأرض لا أقبل اي مبرر للسكوت.. اينما صرخ معذب في الكون وبلغني صوته، استحي ان انام ولا أراه يطاردني  في كابوس الصراخ.. اينما ارتفع حبل مشنقة وكنت شاهدا، حتى لو هلل بالملايين جمهور النحر والجلاد، حتى لو اجتمعت مآذن الأرض والأقراس تبارك النحر، استحي أن أدير ضهري لمن يحاكمني في نظرة الوداع، استحي أن اهرب اوأجاري القطيع في الثغاء..

 
يوم بلغني تنفيذ الإعدام في يسري - وأبنائي شاهدون-  حملت سواد الحداد في قلبي، ونشرت الخبر من واجب الإعلام وبقيت رابضا بالبيت كمن ينتظر العزاء.. وسلواي أنه جاءتني من التعازي على شبكة الفيس بوك وبريدي الإلكتروني الكثير.. وما لم أكسر الصمت بخصوصه أيضا في نفس السياق هو أن من جملة المناشدات التي وضعتها على مدونتي وأرسلتها بالفاكس حينا والبريد العادي او الإلكتروني حينا آخر، لم يردني رد شاف أو صدى يذكر باستثناء رسالة واحدة، جاءت بعيد ساعات قليلة من خروج مراسلتي بالإنترنت، من السيدة فيولات داغر زوجة الدكتور هيثم مناع، وهي رسالة في غاية من اللطف، تؤكد فيها صاحبتها وقوفها وزوجها والهيئة العربية لحقوق الإنسان بجانب يسري الطريقي وعائلته وتطلب مني بعض الإيضاحات واعدة بالتدخل في أقرب وقت ممكن وفق ماهو متاح لها لطلب العفو. لا أعلم إن تم لا حقا تدخل  فعلي من الهيئة المذكورة ام لا، ولكني سجلت بارتياح على رمزيتها هذه اللفتة لأنها لم تأت لا من رئيس حكومة في تونس ولا من وزير عدل ولا من زعيم سني أو شيعي، لا من ذي شارب رجولة طويل ولا من ذي لحية دين أطول أو غيرهم ممن ناشدتهم وصرخت في ضمائرهم بوجوب التدخل العاجل لأنقاذ يسري الطريقي.. جاءت من امرأة تعيش في الضاحية الجنوبية لباريس وتحمل اسم "فيولات" ولقب "داغر"..

وقبل ان أختم ما أردته تعقيبا على "كسر الصنم"، بودي، أخي فاخر، ان اسرد هنا لإنارة المتحاملين على الرأي اليساري في تونس وعموم الوطن العربي الإسلامي ما استحضرته بالذاكرة من مضامين "الصنم" وهو يعود لمناظرة تلفزية وقعت سنه 1981 في فرنسا بين مرشح اليسار للرئاسية حينذاك فرانسوا ميتران ونضيره مرشح اليمين فاليري جيسكار ديستان
الرئيس السابق.. وكانت استطلاعات الرأي قبل المناظرة بأيام قليلة ترشح الأخير لسباعية ثانية.. من جملة الأسئلة التي طرحها ديستان على ميتران بقصد إحراجه أمام الرأي العام في بث مباشر لا يزال لحد الساعة حاضرا في ذهني السؤال الآتي: هل تنوي تكوين ائتلاف حكومي يضم وزراء شيوعيين في صورة فوزك بالرئاسة؟ وكان رد الإشتراكي ميتران كما يلي: لقد كان الشيوعيون مع محاربي شمال إفريقيا والسينغال في الخطوط الأولى من المواجهة مع الألمان وقد دفعوا من الأرواح ما لم يدفعه غيرهم. ولولاهم لما كنا اليوم ننعم  بالحرية. هل تتصور أن الشيوعيين لا يصلحون لشيء آخر غير فوهة المدفع؟

وكان رد ميتران على ديستان  بتلك الــ"يسارية" المباغتة، وعقب جولات بدا وكأنه تقاسمها مع خصمه بالنقاط، مفحما لدرجة أن هذا الأخير ترنح على الحبال..وخسر فعلا انتخابات ماي 81 جراء ما أراده ضربة قاضية لليسار فعادت بالوبال عليه .. وفي سياق ما قلته سابقا عن فيولات داغر، أذكر أنها حين جاءت ضيفة على المؤتمر الذي شهد ولادة الجبهة الشعبية، في أكتوبر 2012،  العديد من أنصار النهضة -دون معرفة السيدة لا من قريب ولا من بعيد- تداولوا على الفيس بوك صورتها وهي جالسة قرب بعض من رموز اليسار معلقين على "السافرة" بل و"الفاجرة" التي لا تستحي من الكشف عن شعرها وهي قد فاقت الخمسين ومستغربين أن تكون بهيئة لا توحي بأنها من "الطبقة العاملة".. ومعهم حق أصحاب الحق المطلق وسجناء الرأي الأوحد لأنهم لا يعرفون أن هذه السيدة التي تحب وزوجها تونس أيما حب وأتياها في أكثر من مناسبة منذ الثورة هي من أصل لبناني ومسيحية ومتزوجة من شيوعي.. كما لا يعرف العديد ممن نادى سرا أوأفتى جهرا بضرورة عقاب الجثة الكافرة لشكري بلعيد ونفيها بعيدا عن مقبرة المسلمين، وممن حاول الإعتداء على بلعيد حيا في أكثر من مناسبة، وليس آخرها يوم 23 جانفي 2012 عند خروجه من محاكمة قناة نسمة، كم إسلاميا من مقموعي الرأي في عهد بن علي تكفل هذا المحامي بالدفاع عنهم وكم من ضحايا التعذيب صدع جهوريا بصوتهم وحقهم  في وقت لم يكن لهم فيه من لسان دفاع إسلامي يصدع بالحق ولا يخشى فيه لومة لائم.. وكم من معوز من هؤلاء نال حق المرافعة عنه دونما أن يكلف نفسه لا المليم الذي ليس بجيبه ولا حرج الحديث عن ضيق اليد، كلهم دافع عنهم  شكري بلعيد بشراسة، من موقع إيمانه الثابت كيساري وحقوقي استهدف هو أيضا للملاحقة والسجن والإضطهاد في عهدي بورقيبة وبن علي، وفي وقت كان بإمكانه أن يكسب من المحاماة ما يدر للكثير ممن يمتهنها كتجارة مرافعات لا غير، دخلا بعشرات الملايين.. عاش بلعيد حتى اغتيل، وهو وزوجته يمتهنان المحاماة، ولم يملك لا بيتا ولا مترا في عقار ولا مفتاح سيارة.. ولا حتى رخصة سياقة.. وحين فتحت السجون أبوابها، كان في مقدمة من يصول ويجول في الساحات، وبمكبرات الصوت، ناعتا بلعيد بأنه لا "يصلح لشيء آخر غير فوهة المدفع" موَكّــليه بالأمس القريب من السلفيين والإسلاميين..  

عودة للصنم في الختام، أخي فاخر، الشموع وباقات الورد التي غطت المكان الذي سقط فيه بلعيد شهيدا، والصنم الذي تكسر، إن كانت بدت للبعض بدعا وطقوسا وثنية، نبعت في الواقع من قلوب الملايين ودينهم السمح، ملايين التونسيين الذين لا يعرف جلهم ما ورد في المناظرة الآنفة الذكر، بين ميتران وديستان، ولكنهم رفضوا، وبسماحة دينهم الحق، عقيدة الإقصاء والتكفير.. ودونما نية منهم في تأليه ضحية الجبن والغدر ولا تصنيمه، أرادوا ان يقولوا: الشهيد شكري بلعيد  مات تحت فوهة المسدس، غير أننا لن نقبره وكأنه لم يكن صالحا لشيئ آخر عدى فوهة المدفع..

عودة للصنم مرة أخيرة، أخي فاخر، وأرجو ألا يفسد الصنم للإخاء سبيلا، ثمة أصنام أخطر مما كسرناه بتطهير مكي على موقع اغتيال الشهيد..أصنام وثنية بحق تستوجب شجاعة مني ومنك لكسرها.. وهي منتصبة في عقولنا يمينا وشمالا على حد السواء.. أصنام قاتلة للدين والوطن والأحياء، عايَــنّا عن كثب آثارها في الشقيقة الجزائر بالأمس ونعيشها اليوم في الشقيقة سوريا ونخشى ان تأتي غدا أيضا على أخضر بلادنا ويابسه لو تقاعسنا في تطهيرها "مكيا" من عقولنا.. أصنامنا القاتلة، وهي ناتــئة في رؤوسنا ولا نراها، أولى بغيرها من التطهير المكي.. ولا أريد ان أنهي بنبرة توحي بالتشاؤم لكني استحضر هنا قولة لإنشتاين أسوقها لما يمكن أن يستلهمه كل التونسيين منها : حذار من الأحكام المسبقة التي تكبل عقولنا وتنبع من أصنام وليناها على ضمائرنا فاستباحت منا بعد حرية العقل ونوره دمنا والوطن: 

Il est plus facile de désintégrer un atome qu'un préjugé.
إن تفكيك ذرة هو أسهل من تفكيك فكرة موروثة...
مع تحياتي ومودتي، أخي فاخر.



احمد العامري

25. 02. 13
                                

mercredi 20 février 2013

Marcel Khalife: poignée de main au peuple tunisien





Marcel Khalife à Carthage, juillet 2012
(Photo Marcel Khalife)
Je me souviens très bien du long train qui m'a conduit un soir de l'été 81 vers la Tunisie-peuple. J'allais sur la fin des deux décennies inscrites à mon âge, et je pressais alors le temps de s'écouler plus vite pour que je puisse accéder à la cour des grands. Aujourd'hui, nous demandons au temps d'être moins pressé pour que nous puissions achever le poème et garder la verdeur de l'âge.
Je n'oublierai jamais la défense assurée par le peuple tunisien, et de prime abord, au projet de la création engagée pour la cause du pain et des roses. C'est ce peuple qui nous a incités à développer notre langue et la prémunir contre l'usure et la redite épuisante. Et c'est ce que nous avons fait, public et artistes, dans la confiance réciproque et la meilleure des complicités, composant avec les exigences du temps et des goûts qui évoluent incessamment.
Parallèlement et dès le début, nous n'avons pu nous concilier avec le système arabe officiel. Ce système a tôt révélé toute son hypocrisie et sa décadence. De sorte que les choses allaient toujours de pis en pis, jusqu'à l'avènement de la révolution populaire tunisienne. Œuvre de ces héros, jeunes, écoliers à l'âge des fleurs qui suscitent l'admiration et l'étonnement. Ce sont les amants de l'impossible, ceux qui croient avec simplicité que, sans dignité, la vie ne vaut pas d'être vécue.
A Hammamet, bouquets de jasmin pour Marcel Khalife
(Photo Marcel Khalife)
Votre révolution, mes chers amis en Tunisie, est devenue pour nous l'essence et la référence de notre parcours aussi bien artistique qu'humain. Aussi ne trouvons-nous pas étonnant que nos œuvres soient accueillies par vous avec chaleur, soient agrées comme répondant à la volonté du peuple.
L'art a pour seule vocation l'art lui-même, pour autant qu'il parvienne dans ses formes et ses capacité à éveiller les sentiments et transmettre l'idée, à creuser dans la réalité, le cœur humain et le sens même de la vie des tunnels pour l'avenir.
Personne ne peut changer le cours de l'histoire ni faire une révolution s'il n'a pas l'appui d'un pinceau, d'une corde, d'un poème, d'un chant, qui lui permettent de dépister le rêve et parvenir à le réaliser.
Seul l'homme libre peut se séparer de son être exigu et partir vers l'absolu. Y partir en tant que voyageur promeneur, car c'est en réalisant ce voyage continuel que la vie acquiert son sens.

Marcel Khalife
Tunis, 9 juillet 2012

Traduction A. Amri
20.02.2013

dimanche 17 février 2013

Octonennie califative




                                                                                 
 Octonennie califative: cette expression qui ne figure encore dans aucun dictionnaire, néologisme inédit, nous la devons à une banderole islamiste.  Superbe manifeste de rue qui plaide, par  huit non soutenant l'idéal  obscurantiste, le califat. L'octonennie califative voudrait bannir de la société de demain les vices suivants: droits humains, droits civils, démocratie, laïcité, citoyenneté, égalité,  liberté,  élitisme. 

Islamia, Islamia, ou dans sa rhétorique austère et dépouillée, l'enseigne de guerre des Frères musulmans. Sous la redondance et l'ellipse, l'impératif du "Califat islamique". En gras, cursif et rouge sang. Ingrat qui ne sache se gargariser de tel sang à péter foi, vésicule biliaire et les plombs! Gargarisons-nous-en!

D'habitude, nos Frères musulmans et leurs salafistes de frères utérins  boudent le rouge, qui y flairent, outre la peste, la théologie laïque des idolâtres du drapeau tunisien, par exemple. Et le choléra: les  opinions écarlates des communistes staliniens! Ils n'osent même pas appeler de leurs noms, par exemple, Hamma et Chokri! De peur que la souillure qui (en) entache  la langue des saints ne contraigne les saints à refaire leurs ablutions.
D'habitude, les Frères et leurs frères utérins détournent la face où qu'ils soupçonnent le sang de Satan. Sauf à le voir sous leurs mains, chaud jailli d'une gorge coupée,  beau mouton de l'aïd ou Belaid et autres moutons, bénites offrandes sacrificielles vouées aux autels du califat.

D'habitude, dans leur mystique artistique chaste et sobre, c'est  de noir immaculé qu'ils aiment à maculer leurs bannières et banderoles. Plus c'est noir comme le corbeau,   plus le beau vert islamiste a du corps.
Huit non en vert pour l'hiver qui couronne le printemps: c'est la pieuvre à huit tentacules, l'octopus né d'un croisement entre Frères de sang saint et  leurs frères utérins.

A. Amri
17.02.2013

Hussein, debout! - Par Chokri Belaid


Il avait 23 ans, le chahid Chokri Belaid, quand il a écrit ce poème. Hommage direct, bouillant, à une grande figure de la pensée marxiste arabe, Hussein Mrawa(1), assassiné à Beyrouth par les prisonniers de la pensée unique. Bien que le poème soit long, que le souffle épique y transcende l'oration funèbre,   à plus d'un égards il y a lieu de penser qu'il n'a pas subi beaucoup de ratures. Non pas que la langue laisse à désirer; à tous points de vue elle est impeccable. Non plus que le bagage culturel de l'étudiant soit modeste: au contraire, il ferait pâlir beaucoup d'érudits, pour ne pas dire des sommités de la recherche académique, tant l'intertextualité du poème appelle des retours incessants à l'histoire politique, religieuse et littéraire. Mais c'est plutôt parce qu'on y flaire le produit de premier jet, l'encre et ses bavures,  que le jeune étudiant en droit et militant coriace de l'UGET et du MOUPAD, a dédié à une icône, et non des moindre, du combat avant-gardiste arabe. Une coulée de laves jaillie des tripes, un torrent irrépressible déversé sur les mains et le papier, à l'heure où la fraîcheur émotionnelle brûle encore aux yeux, à l'heure où le cœur, gros et soulevé, suffoque de sa colère. Le Libanais Hussein Mrawa est à la pensée arabe moderne ce qu'était Gramsci à la pensée marxiste en Occident, une plume trempée à la fois dans la philosophie de la praxis et, indirectement, de par son investissement dans la récupération du patrimoine révolutionnaire arabe,  l'historiographie, ou la philosophie de l'histoire. Son assassinat en 87 par les apôtres de l'obscurantisme islamiste a suscité un choc violent, une vive émotion autant chez les intellectuels et les politiques progressistes que dans les milieux estudiantins de gauche(2). On comprendrait aisément, par conséquent, que cette écriture au vers coulant, ce cœur sur les lèvres s'emporte par moments au vertige, et tout naturellement, pour décharger sa bile. La redite, qui pourrait paraître comme un rabâchage pas assez conforme au sens premier de la poésie,  procède dans le présent texte de cette bile amère qui refuse de s'épuiser. Un jeune en colère, un enfant piqué au vif de la conscience, donnerait quelquefois des coups de poing à un mur ou une barre de fer, vains pour celui qui n'en voit pas immédiatement le mobile, sains et salutaires pour celui qui cogne ainsi à se faire mal. La vertu purgative de la littérature et de l'art acquiert tout son sens dans ce poème, en ce qui touche surtout aux cris lapidaires faisant le procès de l'assassinat.

Mais ce sur quoi nous devons nous arrêter ici, concernant précisément ces cris lapidaires, et si
besoin "embrouiller" le lecteur dans les  digressions nécessaires à la remise dans son contexte du poème de jeunesse de Belaid, c'est le clash par procuration fait aux blasphémateurs de  la gauche arabe. L'identité révolutionnaire de l'auteur et sa couleur, enracinée dans l'histoire,  confrontée à tous les clichés dont ils furent affublés, aux mensonges débités à leur endroit et à l'encontre des divers politiques ou intellectuels de cette gauche, que ce soit en Tunisie ou dans le reste du monde arabo-musulman. C'est ce que nous appelons ici clash par procuration. Avant d'en confier l'exécution au poème, rappelons deux ou trois points ici,  ne serait-ce que pour fournir aux non arabophones quelques clés indispensables au décryptage du texte.  
Pour commencer, nous dirons que ceux qui, en Tunisie ou ailleurs, ont pu se faire une certaine idée, ne serait-ce qu'à travers les médias, de la verve étourdissante de
Chokri Belaid, ceux qui ont aimé ses inoubliables coups de gueule contre le pouvoir et les forces réactionnaires en Tunisie ou ailleurs, ne manqueront pas de reconnaître dans ce texte la même veine, la même fougue révolutionnaire qui animait jusqu'à sa mort le leader du MOUPAD(3). Celui-ci n'aurait rien concédé au jeune qu'il était, si ce n'est la peau pas encore assez tannée par l'épreuve et le candide radicalisme du verbe, le ton impulsif appelé à s'adoucir dans la maturité, à sortir des vieilles ornières doctrinaires.

Écrit vingt-six ans avant l'assassinat de son auteur, ce poème, et qui s'en étonnerait? est devenu aujourd'hui une relique de Chokri Belaid. Il n'est que de voir le nombre de partages dont il bénéficie sur les réseaux sociaux, Facebook entre autres, pour mesurer ce que l'effusion de sang a valu et aux assassins et à l'assassiné. Ce don généreux tour à tour consenti et reçu à travers le présent poème montre, après les funérailles nationales grandioses de Belaid, que  la pensée libre et révolutionnaire de cet homme, ce qu'il incarnait de son vivant, inexpugnable, inextricable, restera toujours en vie.  Le jeune poète ne soupçonnait pas que la même main assassine, lapidée par sa voix alors qu'il n'avait que 23 ans, rééditerait le crime à travers sa propre personne. Il ne soupçonnait pas non plus que le panthéon qui a donné à Mrawa sa juste place dans la mémoire des peuples arabes, ce
temple dans lequel il a déposé lui-même son bouquet de roses, lui réserverait le même honneur sitôt assassiné.

La présente traduction
, qui n’est qu'une première copie, de ce poème de jeunesse de Chokri Belaid ne voudrait pas être perçue uniquement comme un simple hommage au martyr. Certes, l'hommage en soi ne serait pas une délicatesse de cœur ou d'âme de trop dans l'attachement légitime qui nous lie à nos morts. Mais la présente traduction voudrait être surtout une occasion pour inviter l'ensemble des Tunisiens, jeunes en particulier, et des Musulmans à travers le monde à honorer la mémoire de Belaid et de Mrawa, entre autres crucifiés de la pensée arabo-musulmane, en relisant surtout, de manière dynamique, l'histoire, la nôtre. Car le vrai combat est là, la bataille fondamentale entre nos assassins et nous se situe surtout au niveau de cette histoire lue en dents de scie par les apôtres de l'obscurantisme. A notre sens, certains sceaux plombant près de quatorze siècles d'histoire doivent impérativement sauter. Pour nous tirer de cette vieille amnésie qui frappe une belle part de notre mémoire. Car dans ces immenses legs du passé tantôt occultés tantôt falsifiés, il y a maintes objets qui nous ont été confisqués, de nombreux maillons qui nous ont été dérobés. Et à cet égard, nous ne dirons jamais assez que l'assassinat de Hussein Mrawa puis, 23 ans après, Chokri Belaid ne visent pas seulement à liquider de fortes têtes. Leur principal objectif, leur hantise perpétuelle, c'est de maintenir sous la chape en mortier ces objets et maillons volés à l'histoire. Les vrais enjeux sont là. Et quand on aura lu le poème de Belaid, et saisi le mordant du clash qu'on évoquait tantôt, on pénètrera davantage la portée de ces propos.

Il serait utile de rappeler également
que l'un des dadas traditionnels des islamistes, ceux qui se prétendent dépositaires exclusifs de notre histoire, c'est d'accuser à tort et à tout propos la gauche, les laïques, les communistes, les partisans du progrès en général, d'être à la botte de l'Occident. Nous en avons vu de belles démonstrations dans la campagne électorale qui a précédé les élections du 23 octobre 2011 en Tunisie. De belles illustrations dans les prêches de haine et de takfir (sentence d'apostat) prononcés sur les places publiques ou à l'intérieur des mosquées, de belles démonstrations encore dans les campagnes de diffamation télévisées où s'étaient investies -Aljazeera en tête, les chaines wahabistes relayées par les réseaux sociaux d'internet, de belles démonstrations aussi dans la série d'agressions perpétrées contre des artistes, des intellectuels, des avocats, des journalistes et des médias, depuis la chute de Ben Ali à la date de la présente publication. Et ce ne sont que quelques exemples.

Dada traditionnel mais commun à tous ces  faux dépositaires de l'histoire, voleurs, en fait, de la mémoire des peuples, puisque la main qui a assassiné Hussein Mrawa à Beyrouth,
Mehdi Amel au même lieu, Faraj Fouda en Egypte, Mahmoud Mohamed Taha au Soudan, Azzeddine Medjoubi, Cheb Hasni, Mohammed Racim et d'autres en Algérie, Mehdi Ben Barka, Abdellatif Zéroual, Saida Menebhi, Evelyne Serfaty au Maroc, et bien d'autres encore avant d'abattre à Tunis, le 6 février 2013, Chokri Belaid, est la même. Et ce serait une lourde méprise de croire que cette morbide hargne  contre l'esprit intelligent et dissident dans le monde arabo-musulman n'est qu'un trait de l'époque moderne ou ne résulte que  de l'émergence du wahabisme, il y a trois siècles. Elle remonte,  bien plus loin en réalité,  aux origines mêmes de l'islam, et surtout aux premières dissidences religieuses et politiques survenues au lendemain de la mort du Prophète.

A ce titre, le combat que Hussein Mrawa a payé de sa vie, contre ce mensonge séculaire par lequel

Hussein Mroueh

l'islam de la barbe et du pétrole tente de maintenir sous la chape de bitume l'autre islam, ou sa face rayonnante, est celui-là même pour lequel on a tué Chokri Belaid. Que n'a-t-on dit et redit, de son vivant, sur ce bâtard et sa gauche, sur le vendu, le sioniste, l'orphelin de la France, bref l'exemple type de déraciné et coupé de toute légitimité historique, et qui prétend à une place dans l'histoire de la Tunisie révolutionnaire! Que n'a-t-on ânonné à propos de la laïcité et ses partisans suppôts de l'impérialisme, de l'acculturation, de l'occidentalisation, et nous en passons...Et c'est là un mérite, et non des moindre, de ce poème de jeunesse de Chokri Belaid que de dire aux menteurs: "taisez-vous!" Les coups au vitriol du clash allant de pair avec les coups de poing au mur, tout en prenant en charge cette violence qui jaillit des tripes disent leurs quatre vérités, et de vive voix, aux menteurs et ignares crottés qui insultent les intelligents .
"Taisez-vous!" parce que l'histoire de la barbe et du pétrole -et nous expliquons autant que paraphrasons le poème- n'est pas l'histoire des peuples.
"Taisez-vous!" parce que les annales des vainqueurs aux élections ne sont pas plus honorables que le torchon de catin d'histoire officielle vôtre qui n'est pas celle des peuples ni de leurs pays. Carthage dans les écrits de Tacite nous le dit, Bagdad dans les médias atlantistes ne contredit pas le dit. De tout temps les vaincus n'ont pas de voix dans l'histoire qu'on écrit, saigne et enseigne.
"Taisez-vous!" parce que votre hargne contre la gauche est essentiellement motivée par votre haine séculaire de tout ce qui est intelligence humaine. Et Chokri Belaid qui fustigeait, peu de temps avant son assassinat, les "ennemis jurés de l'intelligence tunisienne" savait bien de quoi parler, qui citait tant et tant d'exemples illustrant cette inimitié presque naturelle entre les obscurantistes islamistes et l'intelligence qui les contrarie en tout temps.
"Taisez-vous!" parce que votre hargne contre  la gauche est en parfait accord avec le vieil air des pouvoirs locaux dont vous-mêmes, à une certaine époque, avez eu votre part à en souper. Dans les années 70, la presse de Bourguiba, les plumes inféodées aux multinationales américaines disaient, elles aussi, des militants de l'UGTT et ceux de l'UGET qu'ils  étaient des traîtres à la solde de l'étranger.  Un leitmotiv de ces belles envolées oratoires contre la gauche revenait souvent sous ces plumes:"Quand il pleut à Moscou, la gauche tunisienne ouvre le parapluie à Tunis". La chanson n'est pas inédite, loin de là, trop usée, trop affadie.
"Taisez-vous!" parce que la gauche tunisienne et arabe est issue des racines de l'histoire, sa propre histoire, qu'elle n'a rien à se reprocher concernant son enracinement identitaire, qu'elle peut revendiquer
ses combats progressistes, la laïcité, l'émancipation de la femme, le socialisme, le communisme -et bien d'autres valeurs et utopies  attribuées indument à la seule culture occidentale, sans avoir à se faire déboiter de son corps arabo-musulman!  La révolte du Bassin minier en 2008, de
Ben Ghedhahem en 1864, en Tunisie, ou celles, en Irak en d'autres époques, des Zenjs et Carmates, la voix de Belaid notre contemporain et dans la Tunisie d'aujourd'hui ou celle d'Abou Tharr Al-Ghifari dans l'Arabie du Prophète, maillons de la même chaîne, pièces du même puzzle, attestent de cette vieille et indéniable légitimité identitaire des forces du progrès auxquelles les apocryphistes de l'histoire, les corbeaux qui croassent et leurs ailes leur tenant de chœur,  dénient obsessionnellement le sang arabe ou musulman."Taisez-vous!" parce que vos vieux mensonges ne trompent plus que les disciples de votre nuit, ou ses dupes. Et il n'est que de s'arrêter sur le référent culturel de ce poème, les mots sommairement annotées en traduction, pour comprendre de quoi tiennent au juste vos mensonges. Le jeune Belaid de 23 ans, armé de ses Droits, de ses Belles lettres et d'une solide connaissance de l'histoire, a fait de vieille date le juste procès de cette histoire confisquée et prostituée par la barbe et le pétrole.

C'est là, au cœur de ce combat fondamental entre forces du progrès et forces rétrogrades, qu'il faut placer le vrai contexte de ce poème. Belaid nous y restitue les belles pages que l'école ne nous enseigne pas, que les livres expurgés, la pensée puritaine, les chiens de garde de la doxa, les cheiks dévoyés par les rials des palais, imbus de leur savoir merdeux, refusent de céder à leurs justes héritiers.

A son juste légataire et testateur, nous cédons enfin l'écrit et le juste cri.


                                                                                                                           
        Ahmed Amri
                                                                                                                                      17.02.2013


 
tes larmes ne pouvaient irriguer
la terre désolée
mais l'encre jaillie de tes mains
insultait les dieux des impies
tout va bien pour le pays
Bagdad s'endort
et gouverne terre et pavés
tu étais son chevalier
et son jardin secret pour toi
n'avait plus de secret

Hussein l'oriflamme
debout!
les Arabes de l'Arabie des crabes(4)
fusionnant leur haine
quand leur potentat est tombé
ont autorisé l'effusion de ton sang
potentat: il n'y en a pas
les Zenjs(5) étant sous ta plume
l'épopée de la terre
des dissidences et des sels

Dans les nuits de supplice
ils ont déclaré
propriétés communes
aux déshérités
la portée du regard
et le sable
et chevauchant la dissidence
aux confins de la terre
contre l'expansion de la ruine
debout Hussein l'oriflamme
Bagdad s'endort
sur le trône douillet
et Hamdan(6) a appelé
les déshérités du pays
venez, dit-il,
voici le vin du Calife
tiré
des corvées mortelles
suant
vos mains et fronts
désamarrez vos barques
tendez vos mains étrillées
rendues exsangues
par la taxe du Calife
et son Parlement
mon sang est un sceptre
rassemblez votre sang
et suivez-moi
je suis le sable
le pays
la terre
et ceux qui viendront
je suis la ligne de démarcation
entre l'amour vôtre
et la folie

et vous
le début des affres du soir
quand trahissent les ans

debout Hussein l'oriflamme
ouvre les fenêtres
de notre histoire close
hisse tes papiers
la plume
et nomme par ses noms
le pays
laboure le voilé
éclabousse de leurs péchés
les barbes des ténèbres
et triomphe pour la populace
le rebut humain qui a maçonné notre gloire
et fourbi pour le combat ses armes

Se sont gommées
se gomment
toutes les cours
et les classes
qui de notre sang ont acheté
des odalisques
et métamorphosé en crânes
nos visages
nous avons fait nos matines
sur le corps cimetière
alors qu'un cor criait
me voici Hamdane
venant à dos d'une jument
attelée à la colère
pour recoller les fragments
de la diaspora arabe
les débris de la mémoire des exténués
sur le pavé

il crie
je suis le Carmate
et toi  mon prolongement Hussein
tous les pays
sont ma patrie
moi le Carmate
le hirsute des palmiers
la fougue des chevaux
battant des sabots les déserts
je suis une fleur
à la Galilée
et sur les terres nègres

Prends-en acte sur ton cahier
à la plume consigne ce dit

Hussein l'oriflamme
le trône du potentat est tombé
quand pliant leur épiderme
les esclaves ont brandi
les armes

le néant leur a dit
debout Hussein l'autorisé
face aux tribus
aux classes mâtinées
aux charognes
tu les avais mises à nu
mis à nu leurs lubies
et les alibis leurs
debout Hussein le phare
fossoyeur des faits et gestes
enténébrés
de nos ennemis
debout Hussein, l'oriflamme
les barbes qui ont squatté
l'histoire de tous les palais
ont envoyé les chasseurs de sorcières
te réclamant
avec ou sans linceul

debout
et barde-toi de mon sang
mets-toi à l'ombre
de mon linceul
des larmes de millions
du soupir amoureux

debout
tu es le pont des rêves
joignant deux épopées
la sensuelle appétence
du voyage éternel
et l'hymne du matin
debout Hussein l'autorisé
tu n'es pas mort
quand ils ont délégué
la sale mine de la lâcheté
habiter ta dépouille souveraine
soixante-dix-neuf ans(7) durant
tu sillonnais le pays(8)
qu'ils ont caché
entre les palais
et une prostituée
courtisane du Calife
qui sirotait savoureuse
la sueur coulant vers les bateaux

tu n'est pas mort
ni tu n'es linceul
toi l'auteur qui a ciselé
le long de la partie de chasse
notre chanson de geste
dans la pierre qui polit
le visage
jusque ton ultime chant
dédié à ce temps
tu n'es pas mort
auteur de notre odyssée
qui a lacéré
toutes les sectes
et la barbe traitresse

déploie ton corps
à perte de vue
dénude la chimère
et les visions rancies
fais ta prière, Carmate,
sur la nation
du pétrole et des masques
debout Hussein l'oriflamme
nous les épuisés
la cendre du pays
demanderons à l'esprit
de prendre congé de son âme
à ton corps notre adieu
à l'obscurité son jour "J"
au Calife
et ses belles odalisques
les allégeances des dévoyés
mais à l'alternative
sa couleur
qui lui échoira
à l'heure où dans tes mains
elle brandira son héritage
et une autre couleur en-sus
qui couvre les champs
l'alternative ira vers toi
dans le chant de l'Internationale
Et Beyrouth
mère des villages et des cités
t'a suivi dans ton cortège de martyr
elle a consenti un moment
pour pleurer Hussein assassiné
quelques larmes
mais par le sang
elle jura fidélité

debout Hussein notre bannière
assiège la ridda(9) qui tempête
les tribus ont investi
la djobba pétrolière
dans une barbe
et sont venues
pour tuer en nous
la portée des sens
elles combattent
la science de naissance
et reproduisent
clonée
la guerre d'extermination
quand leurs desseins
ont été découverts
dénudées
leur débauche et l'odalisque
le dieu des sectaires
ne pouvait admettre
ta survie
ni se complaire
à ta vue
Rawandī (10) de l'ère des Banques
et leur Parlement
Beyrouth pleure le martyr des esclaves
le parfum du Carmate
ta larme emperle
du sel des Zenjs
ton sourire s'irradie
de la Kuffa(11) dissidente
la voix d'Ali(12)
aux déshérités
"unissez-vous,
vous les épaves des batailles
le rebut des royaumes
la graine délaissée
debout!
Mu`âwîya(13) a mobilisé
les siens, ses proches,
les commerçants de la cité
et les anges apostats
debout donc
le Carmate de ces temps
est venu
braise et désir effréné
debout mes frères!
voici Hussein qui établit
une pile de sang
façonnée de vos larmes
des interminables nuits
d'esclaves de marais
d'ouvriers de Beyrouth
et d'épuisés sur le pavé
tout au long de ce pays

que s'étiole
se fane
et crève
sur la barbe infecte
la djobba du pétrole!

ô présent méprisé
comment la mère des cités
recevra-t-elle son fils?
comment coulera-t-elle ses nuits?
qui sèchera ses larmes
et répondra à l'Etat-Secte?
qui protègera le fils
et le sang qui bouillit
contre la folie des tribus
alors que Beyrouth
est pris en sandwich entre les deux?
Beyrouth une fillette entre eux apeurée
réponds Hussein: comment tu t'es tué?
comment tu meurs
toi notre cheikh
notre père réponds
toutes les parties
jouent leurs faux billets
investis dans des boites de nuit
de notre terre qui saigne
ohé, sudiste!
déploie ton corps à perte de vue
et déclare la pharaonisation (14)
rallie-toi aux mains empoussiérées
contre le corbeau qui croasse
ses oripeaux sont tombés
qui masquaient le museau des chacals
ses oripeaux sont tombés
mais non tombé en obsolescence
le masque

Beyrouth
raccourcit les temps
et déclare
la jument rétive
le verset du trône
le pétrole
cibles à abattre
au fur et à mesure
du combat
en dehors de cette oriflamme
bannière ensanglantée
qui éclaire les voies de la commune
et donne son aubade
à une partie qui a pris à loyer
une barbe des âges incultes
et s'est dressée
décrétant la restauration
de l'hégire caduc

nulle part sur terre
et dans la mère des cités
le mépris de la ridda
la hargne des réactionnaires
n'a d'objet
à part nous
père qui a creusé
de notre sang
et des reliefs de nos jours de peine
libéré l'abrégé de nos propos
autorisant le hissement des voiles
sous le pavillon
du Carmate et ses partisans
quand
redressé droit sur les pauvres
le temps a dit:
propriété collective est
la terre
notre mère
et la prise d'armes
magistrature suprême
maîtresse de notre destin
qui fera basculer les rapports
dans le fort de la mêlée

Ohé, sudiste étoilé!
soixante-dix-neuf ans
que tu sillonnes le pays
appelant les gens
à ne faire la prière
que pour leurs bras retroussés
devenus forteresses
déploie ton corps à perte de vue
et déclare la pharaonisation
rallie les mains empoussiérées
contre le corbeau qui croasse
ses oripeaux sont tombés
qui masquaient le museau des chacals
ses oripeaux sont tombés

tu n'es pas mort
quand fut annoncé
ton assassinat
nous étions à préparer l'hymne
et écrire nos versets dissidents
nonobstant les sentinelles dressées
une franche catine de barbe
happe notre chair et les affamés
et huche Yazid(15)
pour se partager avec
la bouchée qui reste

tu n'es pas mort
mais impératif
était ton sang
pour déshabiller le cadavre creux
et faire l'histoire de ce pays
ohé, toi l'enfant, notre cheik(16), notre père
mûri par les épreuves
sceptre des cités
tu es
héritage nôtre
ligne de suture
entre la perspective
et les rêves

notre terre
n'a jamais été stérile
ses zenjs se renouvellent
ses Rawandī
s'allongent
ses Carmates
rythment les pas

de nos valses

debout Hussein l'oriflamme
ton sang se venge
de ceux qui ont prostitué
l'histoire
et cette phase

allons aux déshérités
ici l'épopée
et le Carmate a juré
de venger ton sang
nous mourons
mais pas de répit
dans la guerre livrée
à la classe félonne

aux ennemis leur religion
aux ennemis leur religion
et à nous
indigence et pharaonisation

Chokri Belaid
novembre 1987

Traduction A.Amri
16.02.2013

________________________________________

NDT:

1-
Penseur marxiste libanais, membre du comité central du PCL et grande figure du communisme au Liban et au monde arabe, auteur de Les tendances matérialistes dans la philosophie arabo-musulmane, mort assassiné le 23 novembre 1987, à l'âge de 77 ans.

2- Rappelons ici, parmi tant d'hommages à la mémoire de Hussein Mrawa, celui de Abdeljabbar Eleuch, poète tunisien, que nous avons traduit peu de temps avant l'assassinat de Belaid.

3- Un exemple de ces plateaux de télé inoubliables est traduit en français ici.

4- Contre toute apparente trahison du texte original, dans l'esprit du jeune poète c'est bien "crabe", mot tunisifié et connoté péjorativement, qui correspond à العاربة "al-ariba", terme ségrégationniste par lequel se désignaient autrefois les Arabes de souche arabique, voire mecquoise, par opposition aux Arabes المستعربة "arabisés" venus d'autres contrées, c'est-à-dire rétrospectivement naturalisés.    

5- Zenj (Zendj): en ar. nègres, sont
des milliers d'esclaves qui, sous le califat abbasside, travaillaient dans des conditions pour le moins inhumaines comme ouvriers agricoles dans les marécages du Chott al-Arab. En 869, sous la conduite d'un chef persan, Ali Ben Mohamed, ils se révoltent, s'emparent de Bassorah et menacent Bagdad. Leur soulèvement est devenu une référence dans la culture révolutionnaire arabo-musulmane, comparable à la révolte des communards français.


6- Hamdan le Carmate, leader de l'insurrection des Carmates qui, rassemblant les pauvres et les laissés en compte en Irak, a conduit à l'établissement, dans ce pays d'abord à Al Kufa, puis après le siège, sur l'île du Bahrein actuel et s'étendant au Yémen, d'un Etat indépendant du califat fatimide, première réalisation dans l'histoire humaine d'un régime communiste. Cet État a duré 124 ans, de 899 à 1023.

7- Nous avancions en exergue que ce texte serait "un papier en verve", resté inchangé: les 79 ans attribués à Husein Mrawa, au lieu des 77 vécus, pourrait se révéler comme un autre indice étayant cette hypothèse.

8- البلاد "al-bilad", quoique singulier, a souvent valeur de pluriel en poétique arabe. En ce qui concerne la mobilité du penseur ici illustrée,  Hussein Mrawa a vécu au Liban, en Irak pendant 17 ans et à l'Union soviétique où il a préparé et obtenu un doctorat.    


9- Ridda (recul, défection, rebond) désigne d'abord le mouvement d'apostasie qui a suivi la mort du Prophète. Dans le jargon de la gauche arabe, ridda signifie réaction, attitude réactionnaire.

10-
Considéré comme « Zindīq » (manichéen), Ibn al-Rawandi (827-911) est une grande figure la pensée libre dans le vieux monde arabo-musulman

11- Kuffa (sud de l'Irak) est de tout temps l'épicentre des dissidences politiques à travers l'histoire arabo-musulmane: de Ali Ibn Abou Taleb (cousin et gendre du Prophète) aux Carmates, des premiers chiites à nos jours, elle est le foyer de soulèvements continuels contre le pouvoir central.

12- Ali Ibn Abou Taleb (cousin et gendre du Prophète). Les propos que le poète attribue ici à ce personnage ne sont pas qu'une simple envolée lyrique: Yazid et son père incarnaient le pouvoir du clan "Omaya", l'autorité impopulaire au service d'une élite nantie, alors que Ali ne se distinguait du commun des musulmans que par sa parenté avec le Prophète.

13- Mu`âwîya (602-680) est le premier calife omeyyade. Pour avoir combattu les petits-fils du Prophète, boudé la prière en public, pratiqué la discrimination envers les musulmans non arabes (mawālī), consacré la transmission héréditaire du pouvoir, entre autres points négatifs qui lui sont attribués, ce personnage a acquis un triste renom, que son fils lui succédant à sa mort ne fera que renforcer.

14- Pharaonistaion "فرعنة " semble emprunté plus à l'acception tunisienne du mot qu'au sens que peut connoter Pharaon. "Se pharaoniser" signifie
être combattif, battant, irréductible.

15- Fils de Mu`âwîya (645- 683) et premier successeur de celui-ci au califat omeyyade, Yazid est réputé surtout pour sa débauche d'ivrogne impénitent et la répression sanglante de ses opposants à al Kuffa. A ce propos précis, les chiites et la plupart des musulmans sunnites ne lui pardonnent pas de s'être souillé les mains par le sang du petit-fils du Prophète, Hussein, tué avec un grand nombre de sa famille et ses partisans à Kerbala .

16- Constamment émaillé de références implicites à l’œuvre et à la pensée de Hussein Mrawa, le poème fait allusion ici à l’œuvre autobiographique du penseur: ولدت شيخاً وأموت طفلا Je suis né cheikh et je mourrai enfant


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