vendredi 26 septembre 2014

Quand la conscience tourmente le non-humain



Y a-t-il dans le genre animal, chez certaines espèces du moins, une faculté permettant de porter des jugements normatifs fondés sur la distinction du bien et du mal ? Y a-t-il, régie par des lois psychologiques et des sentiments semblables aux nôtres, une conscience animale morale ? Et les bêtes dotées de telle conscience ont-elles la capacité de réfléchir après coup sur leurs actes ? Sont-elles capables de discerner une faute, un mal commis dans un état d'âme secondaire et le regretter par la suite ? Peuvent-elles en la circonstance être  consciencieuses au point de se faire un auto-procès et, se jugeant coupables, en inexorables juges s'infligent la peine qu'elles estiment mériter ?

Voilà quelques questions que je me suis posées en découvrant cette histoire authentique qui a eu lieu au Caire il y a une quarantaine d'années. Et qui a fait couler beaucoup d'encre à l'époque, que ce soit sur les pages des échotiers cairotes ou sur celles de grands écrivains égyptiens(1).

Mohamed El-Helw à dos de Sultan
En ce soir de la mi-octobre 1972, le cirque national égyptien présente à El-Balloon son premier spectacle pour le mois de ramadan. Le grand théâtre rond au toit rose situé sur la corniche du Nil, qui abrite le cirque égyptien depuis sa fondation en 1966, est pour la circonstance comble.


Mohamed El-Helw, directeur du cirque et artiste dompteur de lions, vient tout juste de finir son numéro avec le lion Sultan. Ce fauve qu'il avait dressé lui-même depuis qu'il était lionceau, voilà des années qu'il s'était assuré sa complicité dans des numéros des plus sensationnels. Que ce soit en Egypte ou dans les plus grands pays du monde où ils s'étaient produits, voilà des années que l'homme et son lion formaient, à chaque représentation, le duo le plus applaudi. Les jeux les plus périlleux et les plus inouïs, Mohamed et Sultan s'y étaient adonnés tant et tant de fois dans une parfaite entente. Et jamais il n'y a eu le moindre pépin. Ce soir-là encore, devant des milliers de spectateurs au souffle coupé, le duo n'a pas failli à la règle, exécutant de A à Z toutes les composantes du numéro. Comme d'habitude, Mohamed a fait son entrée en scène à dos de Sultan. Et la docilité de ce dernier tout au long de la parade fut impressionnante. Il en fut de même pour la suite, une simulation de combat où le dresseur prend Sultan à bras-le-corps et le jette à terre. L'animal s'y est plié avec la souplesse coutumière, s'est laissé rouler sur un flanc, puis sur l'autre, aux pieds de son dompteur. S'il lui fallait faire la moue et rugir de temps en temps pour feindre un accès de colère, ce dont le spectacle a besoin pour saisir davantage le public, il le faisait sans faute dès que le claquement de fouet lui en intimait l'ordre rituel. Mais dans le cadre strict de son jeu coutumier, sans trahir la moindre velléité de révolte. Bref, il semblait obéir au doigt et à l’œil de son dompteur, s'acquittant normalement de tout ce qui lui incombait jusqu'à la fin de l'enchainement. Même quand l'homme a mis sa tête dans la gueule du lion, ce qu'il y a de plus périlleux dans un spectacle de cirque, Sultan s'est prêté au jeu sans ambages. Pas le moindre signe apparent d'agressivité. Pas la moindre réaction inhabituelle susceptible d'alarmer Mohamed et de le mettre exceptionnellement sur ses gardes. 

Le numéro fini, comme d'habitude le public ravi applaudit. Et c'est peu dire que, ce soir-là, il applaudit à tout rompre. Le dos tourné à Sultan perché sur un tabouret, Mohamed El-Helw, sur la rampe, s'incline pour l'énième fois, tant le tonnerre d'applaudissement s'étire. Il est loin de soupçonner ce qui se trame alors dans la tête de Sultan. Et incapable d'imaginer que ce dernier, quelques heures plus tôt vexé à bon droit par une brimade, puisse garder une dent contre lui.

Quand le lion a bondi de son tabouret sur le parterre de la scène, il y a eu quelques spectateurs qui ont crié pour prévenir Mohamed El-Helw. Mais, si forts aient-ils pu être, ces cris se sont perdus dans l'interminable salve d'applaudissements.

Ce qui a suivi fut atroce et fatal pour le dompteur de lions.

Toutes griffes et canines dehors, Sultan s'est jeté sur lui et s'est mis à lui lacérer l'épaule. Sans le courage de quelques spectateurs bondis avec des chaises à son secours et l'énergie de son propre fils qui, armé d'une barre de fer, a forcé le lion à desserrer les griffes et les canines, Mohamed El-Helw aurait été dévoré en entier, sinon étripé et tué sur-le-champ.

Gravement blessé, Mohamed El-Helw est mort quatre jours plus tard à l'hôpital. Mais la tragédie n'en finira pas pour autant. Son épilogue, celui que les Cairotes retiendront, c'est Sultan le lion qui le fera lui-même quelques jours plus tard.
Soulignons ici qu'au moment précis où on remettait en cage Sultan, avant même que
Mohamed El-Helw ne fut évacué vers l'hôpital, la dernière recommandation du blessé à son fils (aujourd'hui son successeur à la tête du cirque national égyptien) a été de prendre soin du lion et de ne lui faire aucun mal. Cette même volonté a été réitérée dans les minutes précédant sa mort.


Louna El-Helw, petite-fille de Mohamed
Le lion a-t-il intercepté une telle recommandation? Personne n'est en mesure d'en dire quoi que ce soit. Mais avant d'en venir à cet épilogue tantôt annoncé, faisons une petite digression pour comprendre ce qui semble avoir été aux origines de l'attaque surprenante du lion.
Le matin du jour fatidique, il y a eu une bagarre entre le lion Sultan et un congénère qui s'appelle Jabbar. Selon Louna El-Helw (2), ce dernier, en chaleur, voulait s'accoupler à une lionne connue pour sa fidélité à Sultan. La querelle a eu lieu en présence de Mohamed El-Helw. Et ce dernier a dû intervenir pour empêcher Sultan de nuire à son adversaire. Le dompteur de lions aurait-il forcé la femelle à accorder ses faveurs à Jabbar? On ne le sait pas. Néanmoins c'est fort probable. Et quoiqu'il en soit, aux yeux du lion Sultan l'intervention du maître qui lui a assené un coup de fouet pour le calmer a été assimilée à un parti pris pour son adversaire. Si de surcroit le maître avait livré la femelle à tel adversaire, il n'y aurait plus aucun mystère sur le mobile exact de l'attaque. Ce qui est certain, c'est que Mohamed El-Helw a blessé à son insu Sultan. Et ce dernier n'aurait pas été subitement si agressif s'il n'était pas encore en train de saigner ce soir-là.

Que s'est-il passé ensuite?

Sitôt remis dans sa cage après son forfait, Sultan est allé se tapir dans un coin, comme prostré.  Les quartiers de viande qu'on lui avait servis et qu'il avait l'habitude de dévorer sur le champ avec le sien appétit connu étaient restés intacts. Ce qui semblait au début un manque d'appétit passager se révèlerait, le lendemain et les jours suivants, comme une volonté, une résolution
délibérée de ne plus manger. L'air miné par l'acte irréparable qu'il a commis, Sultan ne voulait plus se nourrir.  Des jours et des jours, il est resté ainsi, isolé dans son coin, buté dans cette posture de repli total sur lui-même et refusant de mettre un terme à la plus curieuse grève de la faim.
Le nouveau directeur du cirque a pensé qu'un changement d'air sortirait sans doute l'animal d'un tel état. Et Sultan fut transféré alors au parc zoologique du Caire. Mais ni l'état de semi-liberté dont il jouissait ni l'environnement vert et quasi forestier ne l'ont décidé à changer. On a pensé qu'une femelle à ses côtés pourrait peut-être le sortir de cette interminable apathie. Néanmoins dès qu'on en mettait une à sa portée, il la chassait loin de lui avec brutalité.

Il était évident que Sultan subissait le contrecoup de l'agression qui l'a fait tuer son maître. C'était, jour après jour, la mine d'une bête contrite, et désespérément accablée par la faute, qu'il donnait. Pour soutenir jusqu'au bout sa grève de la faim (on ne peut pas l'appeler autrement), pour prendre ainsi le contre-pied de l'instinct et s'exposer à la mort certaine, il n'y a d'autre explication plausible à un tel comportement suicidaire que le sentiment fort de culpabilité, les remords lancinants dont la bête ne pouvait se défaire. Et la fin de ce récit semble étayer davantage telle thèse.

Un jour, à la grande stupéfaction des employés du parc zoologique, on vit Sultan se mordre rageusement la queue. Et ne la relâcher qu'une fois amputée de lui. Après quoi, comme si cette auto-mutilation était bien en deçà du châtiment qu'il semblait s'infliger, il s'était mis à se mordre les pattes, se lacérant la peau jusqu'à s'ouvrir, comme un humain qui se suicide, les veines.

Et peu de temps après,  Sultan a succombé à ses blessures.


A. Amri
26.09.14





Notes:

1-
Youssef Idris, nouvelliste, romancier et dramaturge lui a consacré la nouvelle éponyme de son recueil de nouvelles أنا سلطان قانون الوجود Je suis le sultan de la loi d'existence, paru en 1972.

 
En 1973, l'écrivain et penseur Mustapha Mahmoud lui a consacré à son tour la préface de son livre رأيت الله J'ai vu Dieu.

2- Louna est la petite fille de Mohamed El-Helw, aujourd'hui elle-même dompteuse de fauves au même cirque égyptien.

jeudi 4 septembre 2014

Il était une fois à Kojo la joie




Il faisait bon vivre à Kojo.

En toute saison dans ce village situé non loin du mont Sinjar, il fleurait des senteurs émoustillantes, des parfums de volupté. Fragrances de thym sauvage mêlées aux arômes de l'armoise et du genévrier. L'air en était tellement imprégné et incorruptible que le Kojois, depuis toujours réputé bon vivant et en symbiose avec la nature, alléchait moins que tout autre humain ailleurs la maladie. On dit que la longévité aurait fait de cette heureuse contrée en terre de Mésopotamie son pays de prédilection. Et pour aider les hommes à tirer le meilleur parti de cette longévité, dit-on encore, Taous Malek, l'ange-paon qui préside au bonheur des vivants, avait décrété à ses fidèles la joie comme un acte de foi. Un pilier fondamental du yézidisme. Aussi la gaieté instinctive, le bonheur sacré qui invitait périodiquement ses élus à le célébrer dans l'allégresse commune, en chantant et dansant à la ronde, rayonnait-il depuis la nuit des temps sur tout le pays des Yézidis.

Des siècles durant, des millénaires sans fin, il faisait bon danser et vivre à Kojo. Comme on peut le voir sur la vidéo ci-dessous.





Telle était à Kojo la vie. Jusqu'à ce jour fatidique. Ce funeste 4 août 2014.

Ce jour-là, des soudards en noir et hissant des bannières noires, tout aussi lugubres que leurs desseins, sont venus de la nuit moyenâgeuse empester Kojo. Et empêcher les hommes libres de danser en rond.
Des soudards nourris de haine et respirant et suant la haine de tous leurs pores ont surgi des cloaques immondes des ténèbres pour s'en prendre à ceux qui respiraient le thym sauvage, la lumière limpide et l'aimable gaieté.

Pourrait-on imaginer que celles et ceux qu'on voit sur cette vidéo datant de quelques mois seulement ne soient plus de ce monde? Pourrait-on imaginer que ces femmes et hommes célébrant dans une telle ambiance de kermesse le bonheur puissent disparaître en moins de rien, immolés en masse sur l'autel d'une horde de sanguinaires ennemis de la joie? Pourrait-on imaginer qu'une telle hécatombe, ourdie puis ordonnée avec un parfait sang froid et précédée des pires supplices, ait pu se produire non loin de nous, et en l'an 2014? Pourrait-on imaginer que l'enregistrement de ce bal publié par un rescapé miraculé soit tout ce qui nous reste des Kojois, que la joie de vivre dont ces femmes et hommes étaient l'incarnation, la fraternité et le pacifisme qu'ils prêchaient et observaient sans faute en vertu de leur foi aient pu susciter autant de haine chez les califoutraques des temps maudits?

Si de telles interrogations se passent de réponse, que faire alors, s'il vous plait?
Quelle oreille qui ne soit pas sourde interpeller? Quels témoin, instance de droit, répondant de justice humaine qui ne soient ni absents, complaisants, ni complices, saisir de ce génocide? Quelle conscience humaine encore de ce monde faut-il interpeller et secouer pour qu'un tel crime ne reste pas impuni ni ne se reproduise?


Ce 4 août 2014, les soudards de la barbarie ont investi Kojo. Entre autres villages habités par les Yézidis autour du mont Sinjar. Les ennemis jurés de la joie ont d'abord passé par les armes une bonne centaine de jeunes qui tentaient de résister, les uns égorgés comme des moutons, les autres à bout portant fusillés. Tous sous les yeux de leurs familles impuissantes (mères, épouses, enfants...), ameutées par la force des armes et forcées d'assister aux scènes macabres. Scènes que les bourreaux ne manquaient pas d'en rehausser l'effet par telle ou telle humiliations. Coups, crachats, insultes en tous genres. Et cerise sur le gâteau si la métaphore ne choque pas, plus d'un de ces exécutés ont été pendus à des poteaux électriques, décapités, étripés, exposés au soleil et charriant des corbeaux. Pour le supplice inouï des survivants.

Ensuite, les ennemis jurés de la joie et de la vie ont parqué séparément dans un camp de concentration les hommes et les femmes, sommant les uns et les autres de se convertir à l'islam, seule condition pour eux de réchapper à l'exécution. Un ultimatum d'une dizaine de jours leur a été fixé. Leur argent, les bijoux des femmes, tout ce qui a de la valeur leur a été ôté. Leurs maisons, bétail, voitures, téléphones portables, tout ce qui peut être saisi comme butin de guerre leur a été confisqué.

Au jour "J" (le 15 août), à l'exception de sept personnes miraculées qui ont pu échapper au carnage et à qui on doit la vidéo et les éléments de ce témoignage, tous les hommes âgés de plus de 13 ans (quelque 600 d'après les rescapés) ont été exécutés. N'en déplaise aux agents de propagande qui nous montrent des vidéos de convertis sur Youtube ou ailleurs, pas un Yézidi, ni à Kojo ni ailleurs, n'aurait accepté de troquer sa confession et son honneur pour la vie sauve. Les martyrs ont convenu d'opposer à leurs bourreaux cet ultime acte de résistance, cette vaillance héroïque d'hommes libres et jusqu'au bout insoumis. Les femmes, quant à elles, et les enfants âgés de moins de 13 ans (700 en tout) ont été retenus à titre de prisonniers. On présume que les femmes, du moins celles qui ne sont pas âgées, ont été vendues, comme le rapportent plusieurs sources dont la députée yézidie Vian Dakhil. Il n'est pas exclu que certaines aient été forcées d'être des concubines, des auxiliaires malgré elles des jihadistes du niqah. En ce qui concerne les enfants, personne n'est en mesure de dire ce qu'ils sont devenus. On a vu des vidéos présumées d'orphelins yézidis pris en charge par les califoutraques. Mais à les supposer authentiques, on n'y voit que des enfants en bas âge (3 à 6 ans tout au plus), ce qui autorise les pires craintes en ce qui concerne les autres. Le dieu de ces califoutraques (qu'il ne faut sous aucun prétexte assimiler à Allah) est un Moloch, un prince de l'Enfer qui se nourrit au quotidien de chair humaine. Et l'on est en droit de craindre que beaucoup d'enfants yézidis aient pu servir d'hosties à tel Moloch. 

Plusieurs récits de cette tragédie évoquent, outre les inénarrables atrocités commises par les hordes de la barbarie, des actes pour le moins épiques, des attitudes admirables à l'honneur des victimes. Dont le suicide de Gilène Barjès Nayef, en l’occurrence synonyme de haut fait de résistance yézidie.

Cette jeune fille dont la beauté subjugue comme on le voit sur la photo ci-dessous ne vivait pas à Kojo, mais à Tell Aziz, patelin voisin dont plusieurs familles ont des liens de sang avec les Kojois. On croit l'avoir identifiée dans la ronde filmée, mais il faut le dire avec prudence et circonspection, même si les similitudes des traits sur la photo et la vidéo (observer la danseuse qui porte un pantalon noir et une veste manteau grise) sont frappantes.

Gilène Barjès Nayef
Quoiqu'il en soit, depuis son suicide -que nous n'avons pu dater- Gilène Barjès Nayef est devenue icône de la résistance yézidie en Irak. Son village Tell Aziz a subi l'invasion des barbares ce même 4 août funeste. Alors que certaines populations vivant dans les autres villages de Sinjar ont eu le temps de fuir vers les hauteurs du mont, celle de Tell Aziz, prise au dépourvu, a dû résister tant bien que mal quelque temps, avec l'appui des Peshmerga. Mais les assaillants ont vite pris le dessus, et les combattants kurdes ont abandonné à leur triste sort la population. Malgré ce que les Yézidis appellent trahison des Peshmerga, les habitants de
De g.à.d, Rizan (frère de Gilène) et les oncles Jamil et Kacem
Tell Aziz, les jeunes surtout, ont résisté jusqu'à l'épuisement de la dernière balle dans leurs fusils. Si bien que par volonté farouche de mourir debout, beaucoup de jeunes ont continué de se battre avec des pierres. Et sans doute en représailles contre ces irréductibles yézidis, beaucoup de familles dont celle de Gilène ont été massacrés sur le champ. C'est ainsi que le 4 août, les bourreaux daéshistes ont égorgé sous les yeux de Gilène son père septuagénaire, ses deux frères dont l'un terminait ses études en médecine et quatre de ses oncles. En plus de cette hécatombe familiale, une quinzaine de proches ont été kidnappés. Même si personne ne sait ce qu'ils sont devenus, il y a lieu de croire qu'ils ont été exécutés dans le grand carnage du 15 août à Kojo.

Si les bourreaux avaient daigné épargner la vie à Barjès Nayef la dernière survivante de sa famille,  c'est vraisemblablement parce qu'ils espéraient faire d'elle une odalisque. Une concubine à adjuger à l'un des leurs ou à vendre à quelque saint baron du califat. Mais c'était compter sans la noblesse d'âme de Gilène, sans la trempe héroïque de son caractère. La jeune fille s'est suicidée en honorant la devise millénaire des Yézidis: "plutôt la mort que le déshonneur !"

Le mot de la fin, nous voudrions le "dédier" aux ennemis de la joie. Ou plutôt à leurs amis dans les bases arrières du jihadisme daéshiste. Dont, hélas, la Tunisie.
Selon des chiffres publiés sur les pages web arabes de CNN TV, lesquelles citent le Pew Research Center, la Tunisie figure en tête des pays dont sont issus les jihadistes engagés en Syrie et en Irak, avec un effectif de 3000 personnes (dont des dizaines de femmes jihadistes du niqah). Ce n'est un secret pour personne, et les documents compromettants foisonnent à ce propos, que des personnalités politiques haut placées dans le mouvement Ennahdha, des ministres de l'ancien gouvernement à majorité islamiste et des députés dans l'actuel parlement (ANC) sont impliqués jusqu'au cou dans "l'exportation" du jihadisme vers ces deux pays.

Quiconque ce génocide interpelle, quiconque dont la conscience ne peut que se rebiffer contre ces crimes parrainés par des partis, des organisations ou des Etats, quiconque s'estime lésé dans son humanité par cette barbarie impliquant des citoyens ou des organismes de son pays doit réagir fort et réclamer à qui de droit d'établir toute la vérité à ce propos.

Réclamer que soient traduits devant les instance de justice internationale tous ceux qui ont recruté, financé, aidé de quelque manière que ce soit les jihadistes à partir en Syrie ou en Irak, est le devoir de chaque citoyen du monde. Quiconque faillit à ce droit, hausse les épaules, oublie ces carnages, qu'il le veuille ou non devient complice des hordes islamistes, allié objectif de la barbarie.

J'en appelle à toutes les consciences vives dans le monde pour en prendre acte.


A. Amri
4 septembre 2014


Voir aussi sur ce blog:

La tragédie des Yézidis: nouveau témoignage de Vian Dakhil


mercredi 27 août 2014

Al-Rahel Al-Kabir: Les dits de la dérision contre Baghdadi et ses abadies





Al-Rahel Al-Kabir الراحل الكبير est une troupe musicale libanaise qui a vu le jour au début de l'année 2013. Quoique ce nom (qui signifie littéralement "Le Grand Disparu") puisse suggérer une dédicace votive, un hommage à un cher défunt comme on pourrait de prime abord y songer, en réalité il a un tout autre sens. S'il y a quelque dédicace funéraire  dans cette enseigne artistique peu commune, c'est -par dérision- à l'honneur d'un disparu non regretté, un mort plutôt réprouvé à qui la troupe ne voue ni pieuse pensée ni le moindre culte.
Selon Khaled Sabih (journaliste, compositeur et parolier membre de cet ensemble) le disparu concerné ici est " le patrimoine dans ce qu'il a de rigide et contraignant". C'est l'âme musicale classique, momifiée, étriquée et considérée à tort comme un élément fondamental de l'émergence d'un artiste. Telle défunte, Al-Rahel Al-Kabir ne se revendique pas de sa lignée ni ne veut en sacraliser l'héritage. Il veut se défaire de cette momie juchée sur la poitrine des créateurs, l'enterrer sans regret pour doter les potentialités artistiques arabes d'une nouvelle dynamique. Par conséquent, l'ambition de la troupe est de révolutionner la musique arabe à travers des formes, des contenus et des techniques émancipées du cachet traditionnel et sclérosant.

Certes, cette ambition ne signifie pas un rejet en bloc de l'art contesté. A preuve: depuis sa création il y a un an, la troupe a repris de nombreuses chansons du patrimoine oriental, libanais et égyptien en particulier. Dont des titres de Cheikh Imam père de la chanson engagée arabe. Néanmoins, comme on pourrait en juger à travers le répertoire du groupe qui compte actuellement une douzaine de titres, le rythme mélodique oriental, les préludes instrumentaux longs et lassants, les notes languissantes, entre autres traits de cette âme classique, semblent bannis du style moderniste revendiqué par cette troupe. Dans ce même esprit de rénovation, les chansons reprises par la troupe ont subi un relooking à travers de nouveaux arrangements. Il faut souligner aussi que le tarab ( émotion poétique et musicale) n'est plus considéré comme un concept clé de la musique arabe chez cette troupe. Même si l'esthétique n'en est pas pour autant reléguée au dernier plan, dans les soucis de la troupe elle n'est pas primordiale. Du moins ne doit-elle jamais primer sur la force du message, en l’occurrence engagé, du groupe.

Ci-dessous une illustration sous-titrée en français.
Le tout nouveau titre de la troupe Al-Rahel Al-Kabir, intitulé "Madad Sidi (Votre baraka, Maitre/Monseigneur !)", est un pamphlet incendiaire au ton très virulent dédié à Monseigneur Abou Bakr al-Baghdadi Calife de l'EIIL (Etat Islamique en Irak et au Levant) et Commandant des Croyants de l'Euphrate à l'Océan.. plaise à Allah qu'Il rallonge sa barbe !

"Madad", mot arabe dont l'étymologie signifie "secours, assistance guerrière, pourvoi en troupes fraîches d'une armée en guerre", quand il est employé dans une apostrophe [Madad Untel !] équivaut à une prière dévote, une imploration généralement adressée à une autorité religieuse, particulièrement le Prophète ou ses compagnons, laquelle signifie: "Ô toi untel, intercède en notre faveur auprès de Dieu !" ou encore: "comble-nous de ta baraka!"

La chanson parodie des litanies dédiées au Prophète ou encore, comme c'est le cas chez les soufis, à des maîtres de la mystique musulmane élevés au rang des saints. La rythmique caractérisée par un tempo rapide et le leitmotiv "madad, madad sidi" ne sont pas sans rappeler le mouvement de certaines noubas, l'ambiance typique à la transe soufie.

Pour ce qui est des paroles, ce sont les dits de la dérision contre la déraison de Baghdadi et ses abadies, la satire mordante contre les califoutraques de ces temps maudits.





A.Amri
27.08.2014

mardi 12 août 2014

La tragédie des Yézidis: nouveau témoignage de Vian Dakhil

Ce 5 août 2014, le cri de détresse lancé par la députée yézidie Vian Dakhil dans l'enceinte du parlement irakien a touché des millions d'internautes des cinq continents. Poignant et percutant en raison de sa justesse, de sa force émotionnelle et de l'atrocité du sort réservé par les hordes de l'EIIL aux Yézidis,  cette minorité ethno-religieuse qu'on veut rayer, entre autres composants irakiens, de la mosaïque humaine et culturelle multimillénaire faisant la véritable richesse du peuple de la Mésopotamie. .

L'élan de sympathie suscité par ce cri de détresse ne doit pas faiblir car les Yézidis menacés de génocide ne sont pas au bout de leur calvaire. Alors que nous avons appelé de tous nos vœux une réaction humanitaire énergique et immédiate soit des Nations-Unies soit des Etats occidentaux pour sauver des milliers d'hommes menacés à Sinjar par tous les périls (faim, soif, maladies, massacres...), à l'heure qu'il est les Yézidis coincés au mont Sinjar, en particulier près de 700 familles dans la zone sud de cette région, sont toujours dans l'attente de secours qui ne viennent pas. Le 8 août, des avions américains ont bombardé une position de l'EIIL, et on a cru un moment que c'était le début d'une opération militaire destinée à secourir ces damnés yézidis. Mais il s'est vite avéré que les USA n'ont fait que pilonner une artillerie jihadiste proche de la ville d'Erbil en vue de mettre celle-ci à l'abri de la menace jihadiste. Parce qu'une partie du personnel diplomatique étasunien, et seulement pour cette cause-là, se trouve en Erbil à portée des canons de l'EIIL. On a vu pleurer Obama entendant le cri de Vian Dakhil; on l'a entendu promettre une intervention éminente. Néanmoins, on n'a rien vu de vraiment concret sur le terrain. Même le largage de vivres ou de bouteilles d'eau, louable en soi, ne semble pas avoir bénéficié beaucoup aux sinistrés en raison du relief montagneux de la zone.



Côté arabe, à part les lamentations des médias et l'indignation des citoyens du camp laïque, aucune réaction notable. Comme si ces Yézidis qui vivent parmi nous depuis des millénaires, bien avant les musulmans, les juifs et les chrétiens, ne sont pas des nôtres. Comme si les 72 campagnes génocidaires dont ils ont fait l'objet à travers notre histoire commune ne suffisent pas. Comme si nous n'avons d'autre choix que de nous taire et d'être les complices ou les alliés objectifs de cette 73 ème campagne en cours qui cible le demi million de Yézidis survivants.

A quand une manifestation pour les Yézidis à Tunis, au Caire, en Alger, à Rabat, pour ne citer que quelques capitales et les peuples de leurs pays majoritairement acquis aux valeurs universelles?

A quand un sursaut d'honneur arabe digne de ce nom pour venir en aide à ces frères et sœurs irakiens et syriens, Yézidis et autres, qu'on persécute et massacre au nom de Dieu et en notre nom, et avec la bénédiction de plus d'un politiques nôtres, hélas!?

Quand serions-nous en mesure de comprendre que ce qui se passe en Irak et en Syrie n'est que le prélude d'une tragédie d'envergure universelle si nous ne réagissons pas maintenant et de la manière appropriée pour faire front à la barbarie?

Nous avons appris aujourd'hui que Moncef Marzouki, président de la Tunisie, a demandé  "ses excuses les plus sincères aux populations chrétiennes d’Irak". Mea culpa d'hypocrite et larmes de crocodile, quand on sait la part de responsabilité qu'assument ce président et ses alliés de la Troïka dans la tragédie syro-irakienne. Combien de jihadistes tunisiens ont été enrôlés et envoyés en Syrie et  actuellement faisant partie des hordes daéshistes qui égorgent, violent, pourchassent les chrétiens et non-chrétiens, que ce soit en Syrie, en Irak ou à la porte même du Liban?

Mea culpa d'hypocrite et larmes de crocodile, quand ce président, plus soucieux de redorer son blason à la veille des nouvelles élections que secourir réellement les victimes de l'EIIL, omet les chrétiens de Syrie, les Yézidis, les Chiites, les Turkmanes, les Shabaks, eux aussi lésés par le jihadisme tunisien et l'Etat qui l'a cautionné, et pas moins dignes que nos frères chrétiens d'Irak de nos demandes d'excuses !

Mea culpa d'hypocrite et larmes de crocodile, quand ce président propose aux chrétiens d'Irak "de venir en Tunisie le temps que la situation se calme", alors qu'il devrait mettre en place, dans les pays concernés, un organisme opérationnel et doté de tous les moyens, qui fasse sortir en sécurité et venir en dignité chez nous ces frères opprimés en partie par notre faute. Il devrait faire cela aussi pour ces damnées de Sinjar qui nous interpellent encore une fois à travers un nouveau témoignage de Vian Dakhil, députée au parlement irakien. Autrement, cette tartufferie marzoukienne ne suscite même pas le rire, tellement elle vole bas.




Merci de faire écho à cette tragédie humaine, citoyens du monde, car seule une grande et forte chaine de solidarité pourra sauver les Yézidis.



A.Amri
12 août 2014 


La vidéo dans son intégralité pour les arabophones sur ce lien:


jeudi 17 juillet 2014

Hommage à Ahmed Matar


"Je n'écris pas de la poésie; c'est la poésie qui m'écrit. Je voudrais bien me taire pour mieux vivre. Mais ce que j'endure me fait parler." Ahmed Matar

Selon des sources électroniques relayées par Oasis FM, le poète irakien Ahmed Matar serait décédé ce 17 juillet 2014 à Londres, à l'âge de 60 ans. Mais il semble que cette information est mensongère. Et nous souhaitons en avoir la confirmation au plus tôt.
Né dans la banlieue de Bassorah en 1954, Ahmed Matar a commencé à écrire la poésie alors qu'il était collégien âgé de 14 ans. Engagé depuis sa prime jeunesse, il connut la prison puis l'exil à deux reprises à cause de ses écrits. Une première fois au milieu des années 70 quand il fut contraint d'aller vivre et travailler au Koweït, puis en 1986 quand, expulsé avec son ami le caricaturiste palestinien Néji Al-ali, il alla s'installer en Grande Bretagne.

En modeste hommage à ce grand poète insoumis qui, où qu'il a vécu, n'est jamais resté à l'écart des problèmes politiques et sociaux des peuples arabes, ci-dessous deux poèmes traduits par l'auteur de ce blog. (A.Amri - 17 juillet 2014)


Pamphlet contre le tartufe Karadhaoui















 

Il revient à la charge
l'émetteur de fatwas

baver tout son soûl
sur l'honneur des femmes
excepté la quatrinité sacrée
ma mère, ma sœur
ma fille, ma femme
est halal

halal et sanctifié ici-bas
tout acte terroriste
à condition que ce ne soit pas moi
qui y passe de vie à trépas

que les maisons habitées
soient dynamitées
c'est du jihad
cent pour cent saint
pour autant que mon toit
à moi
en sorte sauf et sain

la vertu chez moi
une chenille qui se tord
selon les tribulations de la vie
et l'étoile sous laquelle
tel ou tel est né

quand loin de moi
elle tombe avec fracas
sur tel ou tel infortuné
l'épreuve m'engage
bouche cousue
à ne pas lever le nez
si elle percute mon nez
ma voix tonne et tempête
à grand fracas

Ainsi donc
à la guise d'une telle vertu
je ponds vendredi une fatwa
que samedi je ravale
si les bottes du plus fort
me la renvoient au panier

la modération en islam
c'est fifty-fifty
les délits
simultanément
on les consent et interdit

tels actes sont jugés impies
si le gros pis
de ma chamelle pie
s'en tarit
sinon pieux et zélés
s'ils drainent plus de jus
à ma chamelle et son pis

lui le mufti
a émis ses fatwas
et moi à mon tour
j'émets les miennes
le vice est dans l'ivraie
non dans le bon grain
la laideur
au cœur du sculpteur
et non dans la pierre
à sculpter
votre pondeur de fatwas
c'est la bombe et son poseur
n'accusez pas son consultant
pris dans la toilé d'araignée

par conséquent
nous sommes voués
à la destinée du troupeau
à l'abattoir alignés
écartelés entre les hachoirs
des sentences de mort
et les bottes de nos bourreaux

Et l'islam même en deviendra athée
si l'on ne musèle à temps ce mufti!

Ahmed Matar
Traduction A.Amri


23.01.2013

Entretien avec l'espoir



Hier j'ai contacté l'espoir
"Est-il possible, lui dis-je,
que l'exquis parfum puisse s'extraire
de l'oignon
et du hareng salé?"
- Oui, qu'il a dit.
- Est-il possible
que dans un foyer
inondé de pluie
le feu puisse s'allumer?
- Oui-da! qu'il a dit.
- Est-il possible
que de la coloquinte
on puisse distiller du miel?
-Assurément! qu'il a dit.
- Est-il possible
de mettre la terre
dans les anneaux de Saturne?
- Bah oui, qu'il a dit.
Oui-da! assurément!
car tout est probable!
- Alors, dis-je,
un jour assurément
nos potentats arabes
rougiront de honte."

L'espoir me dit alors:
"Si cela se produit
viens cracher à ma figure!"

Ahmed Matar
Traduction A. Amri

19.02.2013
 
 
 
Poèmes traduits du même auteur:
Abbas, fourbis ton arme !
 
Au sujet de Ahmed Matar:

vendredi 30 mai 2014

Ils ne passeront pas - Abdeljabbar Eleuch

Abdeljabbar Eleuch(*) a écrit ce poème au milieu des années 1980. Dans le contexte politique répressif relié aux Émeutes du pain et la crise de 1984-1985 opposant frontalement l'UGTT (Union générale du travail tunisien) au PSD (Parti socialiste destourien). Et depuis, comme le No pasarán espagnol de Dolores Ibárruri Gómez, le Len yamourrou tunisien est devenu symbole de la résistance nationale antifasciste.  Mis en musique sitôt sa publication par Nebras Chemmem, le titre est vite devenu un tube de la chanson engagée, chanté d'abord par le groupe Al-Bahth Al-Moussiqui, puis repris ensuite  par la plupart des artistes de la file engagée.

Ils ne passeront pas
mon sang à présent
s'est soudé aux martyrs
Ils ne passeront pas
j'ai déployé ma poitrine
barricade protégeant le mur
Ils ne passeront pas
et s'ils passent quand même
ce sera sur mon cadavre
pas d'alternative
ici je demeure
debout comme la montagne
je dessine de mon sang
la face têtue
de la patrie
et sculpte de l'orgueil
le jour
pas d'alternative
ma poigne de fer
et les camarades ici
sont un un stipe colossal
un palmier phare
et ces yeux amoureux
éclairent l'obscurité
comme le halo d'une flamme

une seule poigne de fer
inlassable
et la terre de l'usine
est à présent enceinte
de braises et jasmin sambac
au gibet des chants
nous pendons la peur
et nous bâtissons et bâtissons
en dépit de ceux qui détruisent

ni le cœur n'a cessé de battre
ni l'encre n'a tari de refus
ni ne s'est émoussé
malgré le siège
l'amour éperdu
pas d'alternative
pas d'alternative
pas d'alternative

ils ne passeront pas
 
Abdeljabbar Eleuch
Traduit par A.Amri
29.05.14


Traduction du même auteur sur ce blog:

Illuminé du nimbe des balles: Hussein Marwa


* Abdeljabbar Eleuch est un poète et romancier tunisien né à Sfax le 27 juin 1960. C'est assurément l'une des plus belles plumes tunisiennes d'expression arabe, auteur de plusieurs recueils de poésie dont Poésies (1988) et Gollanar (1997), ainsi que de nombreux romans dont Chronique de la cité étrange (2000), roman qui lui a valu le prix Comar d'Or (Tunis, 2001), Ifriqistan (2002) et Procès d'un chien (2007) traduit en français par Hédi Khlil (Centre National de Traduction, 2010).

Abdeljabbar Eleuch est également co-auteur d'un ouvrage collectif paru en langue française: Enfances tunisiennes, récits recueillis par Sophie Bessis et Leïla Sebbar (Editions Elyzad, 2011).





vendredi 16 mai 2014

Meriem Yahia Ibrahim: à vous votre religion, à moi la mienne !

Meriem Yahia Ibrahim est une femme médecin soudanaise âgée de 27 ans. Elle est née d'un mariage mixte interconfessionnel, son père étant musulman et sa mère chrétienne. Suite au divorce de ses parents qui a suivi de peu sa naissance en 1987, elle a vécu depuis sa prime enfance sous la tutelle exclusive de sa mère.

En 2012, Meriem a épousé un médecin originaire du Soudan du sud, de confession chrétienne, et a eu de lui un enfant âgé de 19 mois. A l'heure qu'il est, enceinte depuis 9 mois, Meriem attend son deuxième enfant(*). Elle serait sans doute une mère heureuse, une femme comblée, sans le tournant tragique que sa vie a pris malgré elle depuis deux ans. Et dans lequel s'imbriquent les rouages infernaux d'un islam sclérosé et déshumanisé, l'islam et la charia des Frères Musulmans.

En effet, en 2012 la justice soudanaise reçoit un communiqué dénonçant un mariage non conforme à la charia, en l’occurrence celui de Meriem Yahia Ibrahim (que les auteurs du communiqué prétendent connaitre comme une parente musulmane) et son conjoint chrétien. Alors que le mariage d'un musulman avec une chrétienne ou une juive est explicitement autorisé dans le Coran, celui d'une musulmane avec un non musulman, faute de référence coranique tranchant pour ou contre, est interdit par la charia. Mais cela n'a pas empêché des oulémas comme Hassan al-Tourabi, ancien chef des Frères musulmans soudanais, d'émettre une fatwa autorisant tel mariage. Toujours est-il que le rigorisme des législateurs et leur sexisme allant de pair à ce chapitre, le mariage d'une musulmane avec un non musulman reste prohibé dans la plupart des pays musulmans. Et seule la conversion à l'islam du postulant au mariage assure sa légalité à une union de tel ordre.

Quand la justice soudanaise a interrogé à propos de sa confession Meriem, celle-ci a nié avoir été musulmane, affirmant qu'elle est chrétienne de naissance. Ce qui est juste et n'admet aucune chicane, n'en déplaise à l'islam des fanatiques bornés et phallocrates. Meriem a été élevée par sa mère qui, mariée ou divorcée, a conservé sa propre confession et l'a transmise par l'éducation à sa fille. Et à supposer que celle-ci ait abjuré l'islam et se soit convertie au christianisme, quel sens donneraient les intransigeants de la charia au verset:" à vous votre religion, à moi la mienne لكم دينكم ولي ديني"? N'y a-t-il pas là un jugement clair, net et tranchant en faveur de Meriem?

Mais cela n'est pas l'avis des juges devant qui Meriem a comparu depuis août 2013, le fait que cette femme honnête et courageuse a nié être musulmane ne pouvant s'entendre que comme un aveu public d'apostasie.. apostasie de l'islam! En conséquence et au mépris d'un droit universellement reconnu, Meriem se voit jugée conformément à deux articles du code pénal soudanais: l'article 126 relatif au délit d'apostasie et l'article 146 relatif au délit d'adultère. Les peines respectives encourues sont la peine capitale et 100 coups de fouet!

Le 11 mai 2014, la justice soudanaise a accordé à l'accusée un délai de 3 jours pour déclarer son repentir. Si Meriem abjure la chrétienté et atteste qu'il n'est de Dieu qu’Allah et Mohamed est le prophète d'Allah, la peine de mort tombera. Sinon elle n'aura droit qu'au sursis lui permettant d'accoucher et d'allaiter pendant deux ans son bébé.

Ce 15 mai, Meriem a comparu devant un tribunal de Karthoum pour dire son dernier mot. Avant que la sentence ne soit prononcée. "Je suis chrétienne, clame-t-elle malgré tout, et non musulmane!"
- Puisqu'il en est ainsi, lui répond le juge, alors que nous t'avons accordé 3 jours pour te décider à te repentir, tu persistes à rejeter l'islam, nous te condamnons à la mort par pendaison!"

Nous voudrions bien que le juge qui a prononcé ce verdict au nom d'Allah nous éclaire un peu sur le sens exact du verset coranique: "Point de contrainte en religion لا إكراه في الدين".
Bons apôtres de l'obscurantisme qui nous tue, ennemis de la lumière et de la vie, si votre charia applique à la lettre les préceptes divins comme elle le prétend, elle ne pourra qu'acquitter cette femme jugée et condamnée de façon inique, arbitraire, barbare.

A. Amri
16 mai 2014


*- Ce deuxième enfant, une petite fille, vient de naitre en date du 27 mai 2014.


Lien externe:

Prière de signer et relayer la pétition mise en ligne par Amnesty International:
Libérez Meriam Yehya Ibrahim, jeune soudanaise condamnée à mort en raison de sa religion

mardi 13 mai 2014

Pourquoi la mer rigole-t-elle?


"Ils m'ont intercepté sitôt mon retour de Damas et m'ont expédié.. mais doucement ! non pas vers l'une des prisons gouvernementales connues et encombrées de détenus, mais vers les hôpitaux pour fous. L'Hôpital psychiatrique d'Al-Abassia ! L'essentiel est que je suis sorti de cet hôpital par miracle, mais plutôt comme une épave humaine, si ce n'est pire ! Je suis sorti pour la rue, pour la faim, le dénuement, la clochardise, la perdition et le tabassage dans tous les postes de police[...] Je suis sorti pour tourner en rond comme un chien pourchassé, sans refuge et sans  mes deux enfants et ma femme. Et je suis resté gelé, assiégé, arrêté et loin des domaines de mon activité comme dramaturge, metteur en scène et comédien. Loin des domaines de l'édition en tant que poète, critique, zajaliste1 et parolier !"                                                                                                                         
                                                 Extrait d'une lettre envoyée à Youssef Idris2



Le pourquoi du pourquoi

"Pourquoi la mer rigole t-elle?" est le titre d'une chanson égyptienne devenue populaire dans l'ensemble des pays arabes depuis que Cheikh Imam l'a intégrée à son répertoire en 1978. Bien que le titre soit l'un des vieux succès de la chanson arabe alternative, le contexte biographique dans lequel le poème a vu le jour n'est pas assez connu. Quand et par qui fut-il interprété d'abord comme chanson ?  Et quand et pourquoi Cheikh Imam l'a-t-il reprise ? Le propos de cet article est d'éclairer l'histoire de cette chanson.

C'est en 1974 que le poète, critique et dramaturge égyptien Najib Srour a écrit  البحر بيضحك ليه (La mer pourquoi elle rigole). Il s'agit d'un chant soliste ouvrant sa pièce de théâtre منين أجيب ناس (Où trouverais-je des gens?). Et sa musique originale a été composée par Mohamed Cheikh.

La chanson comme la pièce de  théâtre3 à laquelle elle appartient (sorte de tragédie lyrique qui traite de la période post-nassérienne à travers le mythe d'Isis et Osiris réécrit et réactualisé) dénoncent le mal-vivre du peuple égyptien tout autant qu'elles traduisent les hantises et les affres existentielles de l'auteur. La pièce a été écrite en deux semaines alors que Najib Srour était interné dans un hôpital psychiatrique.



La mer, pourquoi elle rigole
quand je descends, coquetant,
pour remplir les gargoulettes ?
la mer est en colère
elle ne rigole pas
parce que l'histoire n'est pas drôle
la mer, sa plaie est incurable
et notre plaie à nous
ne s'est jamais cicatrise
entre toi et moi
des murailles et des murailles
et je ne suis ni un titan ni un oiseau
j'ai un luth à la main
causeur et audacieux
et je suis devenu en amour
une légende
(
Najib Srour, traduit par A.Amri)

Supplicié du souvenir

Psychiatrique ?
Avant d'aborder les circonstances de cet internement, un retour en arrière est nécessaire pour comprendre à la fois l'homme et les rouages politiques qui l'ont brisé.

Srour collégien
Najib Srour est né en 1932 dans un village pauvre, et soumis au joug de la féodalité. Tout enfant, il a vu son père, humble paysan, se faire humilier et battre par l'omda4, une bête brute, un vampire qui traitait tous les villageois en serfs rattachés à sa seigneurie. Le souvenir lancinant de ce père humilié sous ses yeux ne le quittera jamais. Jamais, adolescent, jeune étudiant, homme au fort de sa maturité, il ne guérira des séquelles laissées par cet acte de la plus haute barbarie. Et l'idéal suprême qui guidera sa pensée et son combat, tout au long de sa vie, sera de restaurer la dignité de son père et son honneur, à travers l'alignement inconditionnel derrière tout homme humble écrasé par l'injustice. Et l'on imagine avec quelle chaleur, quel enthousiasme et quelle gratitude à Nasser le jeune homme a pu vivre, alors qu'il était étudiant, la révolution des Officiers libres, en 1952, et l’abolition du féodalisme qui en fut la conséquence directe.

En 1956, âgé de 24 ans, Srour obtient un diplôme de l'Institut Supérieur des Arts dramatiques. Et deux ans plus tard, une bourse d'études à l'étranger pour la poursuite d'un 3e cycle à Moscou. C'est un miracle que les Renseignements égyptiens n'aient pas disqualifié le candidat à la mission universitaire pour affinités avec le marxisme-léninisme.

Communiste circonspect

La mission arrive à Moscou en 1959. Dès qu'il a fini les formalités d'inscription à l'université, Srour a tout fait pour s'entourer de solitude, évitant autant que possible toute fréquentation des participants à la mission. Il était convaincu que tous ceux qui ont bénéficié d'une bourse d'Etat comme lui, triés sur le volet, étaient vaccinés, immunisés, contre l'utopie internationaliste et l'idéal égalitaire. De sorte qu'aucun d'eux ne ne pouvait être digne de confiance pour lui découvrir sa couleur politique. Ce climat de suspicion, qui régnait également entre les autres missions arabes, le mettait lui aussi, aux yeux de beaucoup d'étudiants communistes, dans le même camp sentant le roussi, c'est-à-dire nassérien et panarabiste. Quand il pouvait laisser de côté la circonspection, parlant à des rouges déclarés, ceux-ci ne manquaient pas de lui demander -non sans de bonne raisons- comment il a pu échapper à la vigilance des Renseignements. S'il était authentiquement rouge, lui dit-on, il devrait le dire haut et sans plus tarder. En somme, on le défiait à une "ordalie". Et s'il refusait de s'y soumettre, ce serait donner raison à ceux qui jugeaient suspect son communisme. Il a fini par accepter, malgré les tracas prévisibles pour le membre de mission qu'il était, l'épreuve de sa probité politique.

Ordalie rouge

Cette épreuve s'est déroulée au lendemain de l'échec en 1961 de la RAU (République arabe unie). Najib Srour était fraichment marié avec Sachas Kursakova, jeune moscovite qui préparait une licence de lettres. Dès 1958, le communiste qu'il était avait critiqué l'union déclarée entre l’Égypte et la Syrie, qu'il jugeait improvisée. Et l'échec de de la RAU ne pouvait que le renforcer dans ses convictions de marxiste-léniniste. Au moment où le pouvoir au Caire comme à Damas persécutait de plus en plus les communistes, Srour estima le temps opportun de couper court à toute équivoque au sujet de son opinion politique. C'était le moment, ou jamais, de montrer que ce qu'il avait dans les veines, c'était du sang rouge, et pas du jus de navet ! Il s'illustra à l'université par un acte osé et retentissant, qui lui a valu l'estime des camarades. Profitant d'un congrès de solidarité avec le peuple cubain organisé à l'université de Moscou, il a pris la parole, en s'emparant de force d'un micro, pour lire un manifeste contre "le système dictatorial et répressif égypto-syrien". Il eut droit à une salve d'applaudissements du côté de ceux qui ne doutaient plus de la probité du camarade. Mais les retombées de l'acte sur le délégué boursier de l’État étaient désastreuses.  Le pouvoir nassérien ne lui a pas pardonné un tel "acte de félonie". Il a gelé immédiatement sa bourse, déclaré nul son passeport, l'a radié de la liste de délégation et demandé à l’État soviétique son extradition.

Cette demande d'extradition, si elle avait été satisfaite, l'aurait conduit directement à la prison après les sévices physiques, et il aurait peut fait son deuil de sa femme. Heureusement pour lui, c'était cette jeune femme et les nombreux camarades qu'elle avait mobilisés pour son soutien, qui ont empêché les autorités soviétiques d'exaucer la demande du pays ami. Néanmoins, ces autorités ont contraint le "camarade fougueux" à s'éloigner de Moscou. Et Srour a déménagé sans sa femme vers une autre ville où il s'est fait inscrire dans une nouvelle université.

C'est à partir de ce moment que, loin de Sacha et hanté par les affres de la nécessité, que Srour a commencé à boire. La Vodka et autres boissons alcooliques, acquises à tarif étudiant, lui permettaient à la fois de noyer ses peines et de se procurer un peu de chaleur, en compensation de celle qu'il trouvait à Moscou auprès de Sacha.

Arabe offensé

L'étudiant à Moscou
En 1963, alors qu'il était au comptoir d'un bar à causer politique avec un ami, Srour n'a pu s'empêcher de commettre un autre "faux-pas" aux conséquences fâcheuses. En s'exprimant sans circonspection sur la montée de l'influence sioniste en URSS. Un voisin éméché, étudiant russe de droite et se croyant visé en personne par "la calomnie", a insulté les deux amis arabes. Même dans toute sa lucidité, Srour aurait été incapable d'essuyer l'insulte sans broncher. Il a riposté par un coup de poing, et il a fallu l'intervention musclée de la police pour mettre fin au pugilat qui a suivi. Mais quand les deux ou trois agents dépêchés sur les lieux ont voulu passer les menottes aux mains de Srour, ces agents ont trouvé  plus musclé qu'eux. Des renforts ont été appelés afin de maitriser le rebelle, dans toute sa vigueur et surexcité par l'alcool. Embarqué, on le fit payer cher sa "désobéissance à agents de la force publique". Il a plu sur lui des volées de coups de matraque et de poing à le faire dire plus tard: "j'ai pleuré ce soir-là, non pas de douleur mais de la chute d'un modèle d'Etat. J'ai senti qu'il n'y a aucune différence entre la police soviétique et les barbouzes égyptiens."5

Quelques jours plus tard, déprimé et accablé de dettes, Najib Sroura a quitté l'URSS pour la Hongrie. L'un des réfugiés politiques égyptiens dans ce pays lui avait trouvé un emploi à la radio de Budapest. Sa jeune épouse,Sasha Kursakova, était restée à Moscou pour terminer sa licence.

Grâce et disgrâce

En 1964, grâce à un article de presse écrit par Raja Annakash et publié dans Al-Joumhourya (La République), article dont le titre est "Tragédie d'un artiste égyptien à Budapest", Najib Srour est autorisé à rentrer avec sa famille en Égypte. Il est nommé professeur à l'Institut Supérieur des Arts dramatiques. Il publie son épopée en vers Yassine et Bahya qu'il avait commencée à Moscou et terminée à Budapest. Il produit de nombreuses pièces de théâtre et les joue avec sa troupe en plusieurs villes d'Egypte. Tout semble annoncer un avenir heureux et prospère. Mais en 1966, au bout de deux ans d'enseignement, on juge que le professeur d'art dramatique est moins socialiste que communiste, plus internationaliste que panarabiste. Et il est licencié.


Il frappe à toutes les portes, écrit, s'écrie pour faire cesser l'injustice. Mais on ne l'écoute pas. On essaie quand même de récupérer son génie en lui proposant d'écrire pour la télévision. On veut des comédies de divertissement, quelque chose comme le théâtre du boulevard, des mélodrames et des vaudevilles qui feraient oublier aux Égyptiens leur quotidien sans attrait, leur misère de chaque jour.
Najib Srour, pourtant dans l'extrême nécessité, refuse ce qu'il juge "chantage". Il est engagé, et le théâtre a pour mission d'éduquer le peuple, non de lui servir d'opium. "La mission du théâtre, dit-il, est être un instrument révolutionnaire qui contribue au processus du changement social en faveur des classes opprimées".


Mouches bleues

Il a dû vivoter quelque temps de son métier de comédien avant d'émigrer vers la Syrie où il a travaillé
Srour professeur et dramaturge
quelques mois.  En septembre 1971 il donne à Beyrouth, dans les camps de réfugiés palestiniens, la première représentation de sa pièce satirique Les Mouches Bleues الذباب الأزرق. Il s'agit d'un réquisitoire virulent contre le roi jordanien Hussein, écrit, mis en scène et joué en commémoration du triste septembre noir de l'année écoulée. Pour rappel, entre le 17 et le 27 septembre 1970, 10 000 réfugiés palestiniens ont trouvé la mort à Amman,  et plus de 110 000 ont été blessés. Leurs camps ayant été rasés, les survivants ont fui vers Beyrouth pour y être accueillis aux camps de Sabra et Chattila, lesquels, onze ans plus tard, du 16 au 18 septembre 1982, vont connaitre à leur tour un massacre dont l'ampleur fera oublier Septembre noir [ أيلول الأسود].

De retour en Égypte, ses écrits, sa poésie6 et l'ensemble de son œuvre théâtrale, sont censurés. Et par dessus cette mise sous le bâillon, il est interné de force, "pour soins", dans un hôpital psychiatrique jusqu'en 1972. Redoutant le pouvoir de son discours, la machine répressive de l’État espérait discréditer ainsi l'auteur en le faisant passer pour un fou.

Sebaï: planche au damné
Srour et sa famille
En 1973, libéré de son asile il fuit avec sa femme et ses enfants vers Alexandrie pour loger chez son frère. A peine arrivé, il est interné de nouveau à l'hôpital psychiatrique de la Maâmoura. Sa femme revient au Caire et réussit à voir le ministre de la culture, à l'époque l'écrivain Youssef Sebaï. Le chaouch de celui-ci croyait Sasha Kursakova journaliste britannique, et c'était grâce à cette méprise providentielle que la femme a pu parler au ministre et obtenir son soutien. Youssef Sebaï a nommé Najib Srour directeur du Théâtre National: le salaire n'était pas assez élevé mais le titre l'était. Sacha a obtenu également une recommandation au préfet d'Alexandrie, ami du ministre, pour donner au directeur du théâtre un appartement. Malheureusement, le temps que Sacha a pu regagner Alexandrie et annoncer la bonne nouvelle à son mari, le préfet a été muté vers une autre ville et son successeur a jugé qu'il n'était pas concerné par la recommandation ministérielle. Mais Najib Srour s'estimait heureux quand même. Malgré la promiscuité gênante, voire honteuse, dans un logement exigu et insalubre, malgré les conditions d’études difficiles pour ses enfants, cette planche offerte au moment où il était au bout du rouleau autorisait tous les espoirs. Sa nouvelle fonction lui permettait de pourvoir à la subsistance de sa petite famille, et  réhabilitait en lui et autour de lui l'intellectuel, le poète, le génie du théâtre.

En 1975, Najib Sourour est réintégré dans sa fonction de professeur à l'Institut Supérieur des Arts dramatiques. Il se réinstalle avec sa famille au Caire. Sacha retrouve le bonheur d'une vie conjugale et familiale plus paisible, plus épanouissante. Leurs enfants, Chohdi et Farid, reprennent goût aux études. Bref, tout porte à croire que cette famille, ainsi remise sur se rails, a tourné la triste page du passé. Tout porte à croire que l'avenir ne sera que radieux.

La mise en croix

Mais à peine une année s'est-elle écoulée que le beau rêve s'évanouit.
Najib Srour est de nouveau licencié parce que communiste. Rached Roshdi, un haut responsable au Théâtre National et à l'Académie des Arts, vouant une haine farouche à tout ce qui sent de près ou de loin le matérialisme athée, n'a pas digéré la réinsertion du Rouge dans l’enseignent. Et il a obtenu ce que la haine réclamait depuis un an.    

L'homme ainsi brisé au moment où il croyait avoir remonté la pente s'écroule. Cette fois-ci pour n'en plus se relever. Le coup est dur et lâche, venant d'un homme de théâtre comme lui, un enseignant comme lui, un intellectuel comme lui, mais sectaire et pourri jusqu'à la moelle des os.
A intervalles réguliers, le damné est remis sous la camisole de force, reconduit à l'asile des fous. Et quand il en ressort, c'est pour faire le tour des bars cairotes à la recherche d'un ami qui lui paie un pot. C'est l'enfer pour l'épave humaine, comme pour son foyer, sa famille on ne peut plus en détresse.

Srour et l'alccol
Faute de moyens de  subsistance, incapable de payer le loyer pour rester au Caire, Sacha à dû quitter l’Égypte avec ses enfants en 1978, alors que le maboul venait d'être remis dans son asile, et réintégrer la maison parentale à Moscou. Pour certaines mauvaises langues, amis ou proches de Srour, ce "plaquage" du mari, au moment où celui-ci touchait à la plus haute solitude, n'était pas très chic. Comme si la malheureuse Sasha les avait trouvés au bon moment à leurs côtés, à elle, à son mari et aux enfants, avec peu ou prou de chic, ces proches et amis. Comme si préserver les enfants, leur survie immédiate autant que leur avenir, n'était pas ce qu'il y avait de mieux à faire, et de plus urgent, pour assister celui dont la plus grande souffrance, parvenu au sommet de la déchéance, était sa honte, quand il pouvait échapper à l'emprise des médicaments psychotropes, de constater qu'il pouvait se procurer grâces aux âmes charitables une, deux, cinq bouteilles de vin, mais pas une de lait pour ses enfants.
Deux garçons dont l'aîné Roshdi, né à Moscou, ne parvenait pas à se rattraper en arabe pour trouver sa place au collège. Elle-même sans travail en Egypte, Sacha n'avait pas véritablement d'alternative pour contourner la présumée "défection"7 que d'aucuns ont pu lui prêter.

Le 24 octobre 1978, Najib Srour meurt à l'hôpital psychiatrique d'Al-Abassia, à l'âge de 46 ans. Cette mort précoce est la conséquence d'un long calvaire dont le principal artisan est l’État. L’État et le système arabe à pensée unique, à parti unique, à vérité unique, lesquels ont détruit un génie et causé d'irréparables torts à sa famille.

Poème testamentaire

Chohdi à sa petite enfance
Parmi les dernières œuvres de Najib Srour, un poème enregistré de sa voix, qui se lit comme un testament à ses enfants.

mon enfant,
moi j'ai eu faim
j'ai eu froid
j'ai vu le pire
j'ai bu mes jours verre après verre
absinthe jusqu'à la lie

mon enfant
pour l'amour de la terre
pour l'amour du Nil et son bleu
si jamais comme moi tu as faim
même s'ils te condamnent à la potence
ne maudis pas l'Egypte
hais autant que tu veux, qui tu veux
mais aime le Nil

aime l'Egypte mère de l'univers
en géographie, ce pays
est hors pair, Chohdi,
8 
et jamais classé deuxième en histoire9
(Traduit par A.Amri)

Cheikh Imam et l'hommage

En hommage à ce damné de la terre, ce mal-aimé du système aberrant, au lendemain de sa mort Cheikh Imam a repris son poème-chanson "La mer pourquoi elle rigole البحر بيضحك ليه ". Le père de la chanson engagée dans le monde arabe en a fait un titre de base de ses concerts, tout comme Oyoun Al-kalam "عيون الكلام Les Yeux des Mots"10 écrite, presque à la même époque, par Ahmed Fouâd Nejm en prison. L'une et l'autre chansons sont des hymnes à la résistance des intellectuels de gauche, des cris défiant la matraque et le bâillon.



A.Amri
12 mai 2014




==== Notes ====


1- Le zajaliste est un auteur de zajals, chansons écrites ou improvisées en arabe dialectal.

2- Traduit par moi-même d'après le texte arabe ci-dessous:
لقد تلقفوني فور عودتي من دمشق وأرسلوني.. لكن مهلا، ليس في معتقل من المعتقلات الحكومية المعروفة والمزدحمة بالنزلاء، وإنما في مستشفيات المجانين، مستشفى الأمراض العقلية بالعباسية!!...المهم أنني خرجت من مستشفى الأمراض العقلية بمعجزة حطاما أو كالحطام! خرجت إلى الشارع.. إلى الجوع والعري والتشرد والبطالة والضياع وإلى الضرب في جميع أقسام البوليس المخلص في تنفيذ أغراض الأعداء والمحسوب علينا من المصريين أو نحن العرب!خرجت أدور وأدور كالكلب المطارد بلا مأوى، بلا طفلي وزوجتي..وظللت مجمدا محاصرا موقوفا. وبعيدا عن مجالات نشاطي كمؤلف مسرحي ومخرج وممثل، وبعيدا عن ميادين النشر كشاعر وناقد وزجال ومؤلف أغان"!!
La lettre dans son intégralité sur ce lien.

3- Najib Srour a écrit un poème en 1956, intitulé Al-hidha  الحذاء , [Le soulier], dans lequel il évoque le père qu'il a vu se faire battre à coups de soulier par l'omda.

4- L’œuvre est disponible en ligne sur les liens ci-dessous (pas de sous-titrage fr):
Première partie:



Deuxième partie:





6- Les œuvres faisant le procès des politiques arabes, dont une série de poèmes (Le con [au sens trivial] des analphabètes كس الأميات ), ont été retirées des circuits de diffusion.


7- Le lecteur arabophone trouvera une excellente référence dans la biographie romancée écrite par Talal Fayçal سرور، رواية لطلال فيصل، الكتب خان للنشر والتوزيع، 2013 , à la fois hommage au disparu et éclairage de sa vie, avec des témoignages poignants de sa femme. 

8- En 2002, ce fils cadet de Najib Srour, poète, webdesigner et directeur de l'édition électronique  "Al-Ahram Weekly" d'expression anglaise, a été condamné à un an de prison pour avoir publié sur internet l’œuvre censurée de son père:  Le con des analphabètes كس الأميات. La publication de ce texte truffé d'expressions triviales a été considérée comme une atteinte à la morale, tendant à corrompre les bonnes mœurs. Pour rappel, Najib Srour de son vivant n'a pas été jugé à cause de ce poème, ni pour un quelconque délit d'immoralité.


10- Oyoun Al-Kalam (Les Yeux des Mots) interprétée par le duo Oyoun-Al-Kalam.






Bibliographie:

-   دون كيخوته المصري، حازم خيري، المجلس الأعلى للثقافة، 2009  [Don Quichotte l'Egyptien, Essai, Conseil Supérieur de la Culture, 2009]

- سرور، رواية لطلال فيصل، الكتب خان للنشر والتوزيع، 2013- [ Srour, roman, Talal Fayçal, Al-Kotob Khan Editions, 2013]

- إتمام الأعلام، نزار أباضة، محمد رياض المالح، دار صادر بيروت، 1999،  ص. 273



Sur internet:
نجيب سرور.. ومنين أجيب ناس  sur albawabhnews.com
نجيب سرور في أوج أزمته، شهادة ,  sur http://www.jamaliya.com
اكتشاف رواية للشاعر نجيب سرور , http://www.almustaqbal.com




samedi 25 janvier 2014

Les puiseuses d'eau - Ahmed Laghmani


irrésistibles puiseuses d'eau
quand elles montent vers la source
frêles silhouettes et gorges nubiles
brodent, sous leurs tuniques rouges,
du sang matinal ou du crépuscule
la traine de sultane empourprée 
qui rallonge leurs tuniques
et au rythme cadencé du pas
leur grâce se dandine à chaque pas


La Source des Femmes (Film marocain)
                                              
quand elles nous croisent sur le chemin
ce sont des yeux baissés aux cils plissés
serait-ce l'amour qui les consume sous l'habit
et tant pudique qu'il se niqabe de leurs paupières ?
nous restons aux aguets nous demandant
mais qui est celle-ci? mais qui est celle-là ?
qui sont donc ces houris irrésistibles ?


La Puiseuse d'eau
Par Jacqueline Sarah UZAN






                                                     


 Ahmed Laghmani
Traduit par Ahmed Amri
     25.01.2014






Version arabe de l'extrait traduit:

والوارداتُ الفاتنات روائحٌ للنبع بين صبيِّةٍ وكَعاب
حمرُ الغلائل قد نسجنَ من الضحى ومن الأصيل، مضرّج الجلباب
يخطرْنَ في خطواتهنَّ كأنما يحسبنَ للإيقاع ألف حساب
يلقينَنا فعُيُونهنَّ إلى الثّرى مشدودة الأجفان والأهداب
أهو الهوى تحت اللحاف مؤجَّجٌ؟ ومن الحيا مُتنقّب بنقاب؟
ونظلُّ نسأل بعضنا عن هذهِ، عن تلك، عن هاتيك في إعجاب
أحمد اللغماني- النص الكامل هنا

Sur ce blog, voir aussi:

Ahmed Laghmani: l'inaltérable cœur sur une lèvre (article)

L'étreinte de l'oasis de Ahmed Laghmani (traduction)

Okamoto - Mokhtar Laghmani (Traduction)

 




Quand les médias crachent sur Aaron Bushnell (Par Olivier Mukuna)

Visant à médiatiser son refus d'être « complice d'un génocide » et son soutien à une « Palestine libre », l'immolation d'Aar...